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** Du vieil Eygalières au monastère de l’Epiphanie en passant par la chapelle Saint-Sixte


Une première courte visite de la colline surplombant le château m’avait séduite ; j’ai donc prévu une randonnée qui me donnerait l’occasion de circuler librement dans le village ; en me garant sur le parking face à l’école, j’étais certaine de n’avoir aucun problème pour trouver une place de stationnement. Le site Patrimoine en pays d’Arles y recense 20 points d’intérêt patrimonial : je ne les ai pas tous découverts, je reviendrai. Au IVe siècle, les Romains captent les sources dites guérisseuses du quartier Saint-Sixte AQUALERIA qui deviendra Eygalières (en provençal Eigaliero). J’ai privilégié la visite du village mais vous pouvez la faire après la randonnée.

L’album photos

La Grande Fontaine, fièrement, porte le buste de la Marianne républicaine.
L’église neuve Saint-Laurent (1905) a remplacé la vieille église : ses murs ne me semblent pas verticaux…

La place des Pago-Tard

fait référence aux habitants du lieu : dès lors que s’est installée une relative stabilité politique et sociale aux alentours du XVIe, l’agglomération s’est progressivement étendue vers la plaine, au sud. Les derniers occupants de la ville haute furent les ouvriers agricoles, les populations les plus modestes qui n’avaient pas les moyens de faire bâtir une nouvelle demeure et qui ne payaient leurs dettes qu’après la récolte, d’où leur surnom de « paye-tard ». Selon e-patrimoine en pays d’Arles

En passant devant cette place aux herbes, avec ses bancs de pierre qui invitent au repos, je reconnais la photographie du livre de M. Pezet : c’était la place de l’ancienne halle aux plantes fourragères construite en 1785 puis détruite en 1930.

La porte de l’Auro1 doit son nom au mistral qui s’y engouffrait. Dans la ruelle de la porte de l’Auro, étroite et fermée, quelques bouches à feu sont encore visibles dans le mur de droite.
Hors tracé : en se dirigeant vers l’ouest, en direction du moulin à vent, une bouche à feu ou canonnière2 d’angle, assez rare dans les fortifications, est encore bien visible malgré l’arbre qui pousse devant. Perché sur son socle rocheux, depuis la tour du moulin à vent (1711), vous aurez une belle vue sur les Alpilles et côté ville, sur l’hôtel Isnard.

En regardant avec attention, on trouve des traces de l’enceinte primitive (XIIe) qui entourait uniquement l’éperon rocheux, puis de la seconde enceinte (XIIIe-XVe) destinée à englober les maisons qui étaient venues s’agglomérer contre le premier rempart. Quelques vieilles et hautes maisons de pierre aux fenêtres à meneaux, des ruelles étroites, des voûtes de pierre complètent le tableau ancien. L’hôtel Isnard (XVIe) en partie restauré, en est un bel exemple ; Bruno Isnard (1656-1694) était un grand propriétaire terrien à Eygalières qui est dit bourgeois de cette ville dans un acte de vente de sa veuve du 09-12-1695 (Paul Bertrand, f° N°751) ; dans la société du XVIIe, la bourgeoisie est une classe de riches, travaillant beaucoup et possédant des terres ; la famille Isnard possédait également le mas de la Brune, classé monument historique.

Au croisement des rues Docteur Roque / Safranière, un grand calvaire dont je n’ai pas relevé la date. Hors tracé : la rue Safranière avec la façade de la maison de  la famille Estrangin et de leur moulin (appartenant, au début du XXe, à la famille Milhaud) situés à l’aplomb de la tour de l’Horloge. Il a fonctionné jusqu’en 1925. Cette rue se prolonge à l’est par l’ancienne draille des troupeaux, intéressante pour les randonneurs, mais presque impraticable, envahie par la végétation et coincée entre un mur et un grillage…

Un escalier caladé monte au sommet du rocher un peu accidenté tout de même, d’où vous aurez une vue sur les toits du village et sur la chaîne des Alpilles. Il y avait là le château, ses quatre tours rondes, le donjon et sans doute quelques habitations troglodytiques.
Au premier étage de ce donjon seigneurial éventré, logeait le seigneur. Derrière, le puits de 80 m de profondeur. Il ne reste de cette tour que le premier niveau  – une salle de garde – surmonté d’une Vierge : aucune preuve qu’elle rappellerait un miracle de 1893 comme le colporte la tradition.

En jetant un œil en contre-bas avant d’arriver à la tour de l’Horloge, vous verrez les ruines du  moulin à huile Estrangin, le dernier en activité dans le village, avec une arcade, un bac de pierre, des rigoles ; sur la photo ci-contre extraite du livre de M. Pezet p. 53, on peut voir la meule à rotation animale et les vis du pressoir à chapelle contre le rocher.

La tour de l’Horloge, reconstruite avec les pierres du donjon en 1676, commémore le rachat du village et des terres par la communauté, la libérant de la tutelle de son seigneur Henry de Guise.

En juillet 1652, le prince de Condé obtient la libération du duc de Guise détenu en Espagne depuis avril 1648 ; en 1660, Guise, lourdement endetté, vend aux habitants, pour la somme de 48 000 livres, tout le domaine de sa seigneurie mais il garde la justice, le château et le  péage de la Vallongue, au fort d’Ancize. A.C. d’Eygalières, registre « Vente de la terre d’Eygalières » f° 8 et 9 ou Les Alpilles, Eygalières et Mollégès des origines au XVIe, M. Pezet, Imprimerie Mistral, Cavaillon, 1949

Tour carrée, coiffée d’un campanile, ses arêtes sont protégées par des pierres de taille posées en harpage3. La cloche de 350 kg – prénommée Jésus Marie Joseph– fêlée en 1855, est refondue par Pierre Perron d’Avignon la même année. Son mécanisme datant des années 1850, est toujours activé mécaniquement par deux contre-poids. Bulletin municipal 94 mai 2016

Au-dessus de la porte d’entrée de la tour, une plaque de marbre rappelle que l’horloge fut restaurée en 1968 sous la mandature de Monsieur Breugne de Valgast Gaston, pour éviter l’érosion de celle-ci et la chute de pierres.
Le maire de l’époque Jean Roque, bonapartiste convaincu, fait graver sur la nouvelle cloche un aigle avec ses aiglons ayant en exergue la devise Aquilarum rupes (rocher des aigles) pour complaire à l’empereur Napoléon III. Bulletin municipal 79 de juin 2015.

En 2015, elle a dû être démontée par un cordiste monté en rappel sur la tour : les engrenages étaient bloqués.

De là haut, je vois bien la petite colline à l’est où se trouve la grotte Fernet appelée communément la « Baumo-Sourno », ce qui signifie en provençal, la Grotte sombre ; je me promets au retour de trouver comment y monter.

La chapelle des Pénitents Blancs, édifiée en 1581 contre le rempart nord-est, a servi de charnier lors de la peste de 1720 car les pénitents étaient chargés d’y enterrer les victimes. La tour de défense située dans l’angle est reconvertie en sacristie. A partir de la dissolution de la confrérie en 1881, la chapelle est laissée à l’abandon. En 1947, Maurice PEZET crée l’Association Les Amis du Vieil-Eygalières, qui après plusieurs années d’efforts, consolide le clocheton et restaure la chapelle des Pénitents. L’association en a fait un musée d’histoire locale, musée Maurice Pezet, D’après le site e-patrimoine en pays d’Arles

Le Musée Maurice Pezet, inauguré en 1967, regroupe et présente les découvertes, du paléolithique à aujourd’hui, faites dans la commune d’Eygalières. En complément, sous forme de panneaux manuscrits, les recherches de Mme Suzanne PEZET auprès des archives relatent en détail l’histoire du village.
Le Musée est ouvert de Mars à Novembre (tous les dimanches et jours fériés, + les journées du Patrimoine) par les bénévoles de l’Association qui continuent de mener l’action originelle de sauvegarde et des restauration du Patrimoine historique et culturel d’Eygalières. C. Delage, présidente de l’association, et J. Delage, par mail

Au zoom, je vois bien que le clocheton porte une inscription mais si je repère la date je n’arrive pas à la lire en entier. Supposant qu’elle a été laissée par un Compagnon, je contacte Jean-Michel Mathonière, spécialiste du compagnonnage qui a écrit plusieurs livres sur le sujet ; il me donne le texte en entier :

La Pansée du S. E[sprit C]ompagnon Passant Tailleur
M.M.                                    De Pierre 1743

La partie centrale avec [sprit C] a été détériorée (par la foudre ?) et n’est plus lisible. M.M. signifie « maître maçon » […]
Il y a une autre inscription juste au-dessous du fronton, au-dessus de l’arc, en capitales très soignées : MATHIVINARD.REC. Je pense qu’elle concerne le recteur en exercice de la confrérie des Pénitents blancs lors de l’érection du clocheton, un dénommé Mathieu Isnard.

Et comme je cherche la marque d’un outil ou un blason, il précise :

Il est rare, d’autant plus sur une partie visible d’un édifice religieux, que les compagnons tailleurs de pierre gravent leur blason. En l’occurrence, s’ils l’avaient fait, il se serait assez certainement composé du compas, de la règle et de l’équerre entrecroisés et entortillés d’une couleuvre, emblème de la Prudence, le tout entre des palmes. […] Le serpent compatissant

En lisant quelques pages sur son site dédié au compagnonnage, je constate que sur le millier de Compagnons passés par Avignon au XVIIIe et XIXe, 72 se surnomment La Pensée de [ville d’origine]. C’est sous cette identité compagnonnique qu’un Compagnon signe le Rôle4 à son arrivée dans la ville (s’il a déjà été reçu), ou au moment de sa réception.

Je suis descendue ensuite vers l’ancienne église Saint-Laurent (classée Monument Historique en 1983), dont j’aperçois le clocher. Reconvertie en temple de la raison après la révolution, elle accueillait donc les peuples sous la devise de la liberté et de l’égalité afin de revenir aux principes fondamentaux de la République.

Saint-Laurent fut édifiée au XIIe siècle dans le vieux village d’Eygalières. On en trouve déjà trace en 1155 dans une bulle du pape Adrien IV. Elle était bâtie contre le rempart, près du pont-levis, agrandie au XVe puis au XVIIIe. Le clocher détruit à la révolution est reconstruit en 1854. La porte a été exhaussée au moment de la construction des nouveaux remparts. Sous la nef, se trouvait un silo à grain destiné à recevoir les redevances de la dîme. En 1702, 36 familles avaient encore leur caveau sous la dalle de l’église. Elle est remplacée en 1905 par l’église neuve Saint-Laurent, non loin de l’école.

Je termine ce petit tour du Vieil Eygalières en descendant la rue de l’église encore bordée de vieilles maisons en ruine dont celle des consuls ; à la Révolution, la Maison des Consuls a servi de Mairie (jusqu’en 1914), et d’École. Au rez-de-chaussée, se trouvait l’ancien four banal. Passée dans le domaine privé et rachetée par la Mairie actuelle, elle est aujourd’hui un lieu d’exposition. C. et J. Delage, par mail

La rue Paré neuve s’ouvre sur le massif des Calans ; ancien camin Roumieu – chemin de Rome – c’est aujourd’hui le chemin de Compostelle GR653D.

La randonnée commence vraiment par le sud-est en passant devant une ancienne pompe à essence bijaugeur des années 1930 ; de nombreux mas sont devenus de belles résidences ; le mas Notre-Dame, contemporain mais en pierre construit selon les techniques anciennes, est caché au milieu d’un hectare d’amandiers, de chênes truffiers et d’oliviers ; c’est la maison d’hôtes de l’actrice Charlotte de Turckheim.
La route puis la piste sont larges, bordées d’arbres. Au loin, dans un espace dégagé, je reconnais l’ancien pigeonnier à côté de la chapelle Saint-Sixte que les habitants évoquent toujours avec ferveur. Isolée sur son « mourre » rocailleux, avec ses vieilles pierres dorées par le soleil, bordée de cyprès, la chapelle Saint-Sixte a été reproduite maintes fois sur les cartes postales anciennes et modernes.

Saint-Sixte, […] se rapporte à Sixte II, contemporain de saint-Laurent et pape des premiers temps de l’église chrétienne. Construite à la place d’un ancien temple païen dédié aux eaux guérisseuses ; elle est citée en 1155 dans une bulle du pape Adrien IV. En avril 1222, elle fut transférée à l’abbaye de Mollégès : c’est de cette époque que date le pélerinage du mardi de Pâques toujours pratiqué aujourd’hui. Chaque année, lors du roumavage5 du mardi de pâques, la statue du saint est portée en procession depuis l’église paroissiale jusqu’à la chapelle. Chapelles rurales de Provence

Avec ses importantes transformations du XVIe siècle, je ne saurais trop dire ce qui reste de l’époque romane : C. Delage me précise qu’il reste la chapelle. Le porche date de 1629, et l’ermitage du 17e siècle, encore occupé en 1828 par un ermite qui vivait de quêtes et de travaux dans les champs. Il est mort en 1855.

On ignore le point de départ précis de l’aqueduc romain d’Arles sur le versant nord des Alpilles. Il est connu avec certitude à partir du Mas Créma sur la commune de Mollégès mais pourrait bien avoir été alimenté à partir d’une source toute proche de la chapelle Saint-Sixte. Parc des Alpilles

Je reprends la route de Saint-Jacques sur 350m avant d’obliquer sur la gauche sur un chemin de terre, le chemin de Costebonne ; un peu plus d’arbres, des iris bleus et des argeiras jaunes, puis des champs d’oliviers près des mas au pied du Contras. Lorsque je trouve la ligne à haute tension, je sais que je vais devoir passer dessous en ligne droite jusqu’au sommet.

La piste du Longjean sinue sur la courbe de niveau ; un sentier à gauche grimpe jusqu’à la tour de guet. Le mont Ventoux est enveloppé dans une brume de chaleur ; je croise quelques abris sous roche peu profonds. Epars, des rochers que l’on dirait dégringolés d’on ne sait où.
Quand je quitte la piste DFCI, c’est pour un chemin qui mène au mas du Rat juste après celui des Loups ; les Alpilles reviennent en fond d’écran ; un panneau annonce monastère lieu de silence ; un monastère ici ? relativement récent, le monastère de l’Epiphanie fondé en 1953 dans un ancien mas provençal, est une petite communauté d’une douzaine de sœurs, avec la présence d’un frère moine prêtre. Si vous y envisagez une retraite, sachez que ce sera au désert, c’est à dire que  vous ne devrez pas chercher à lier conversation, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la maison et ne pas avoir l’intention de faire du tourisme dans la région pendant le temps de votre séjour.

Je passe devant une carrière servant le plus souvent de parking puis monte le chemin du moulin de Marc bordé de hautes haies protectrices. C’est un des quatre moulins à huile de la fin du XVIIe. Lors du terrible hiver de 1709, 70 000 oliviers ont péri gelés. La carrière de silex de Tourredon était utilisée dès la plus haute antiquité pour la fabrication de meules de moulin. Selon Répertoire des travaux de la Société de Statistique de Marseille, Volume 2, Société de Statistique (Marseille), 1828, Eygalières fournissait 2 à 3 meules par an.

A l’approche du Vieil Eygalières, je passe entre les deux monticules rocheux – c’est peut-être une faille rocheuse qui les a séparés – pour trouver comment rejoindre la grotte Fernet marquée sur la carte IGN. Un passage à découvert raide et direct, sur la roche lisse, aboutit à un sentier en corniche assez impressionnant. Fait-il le tour ? le sentier est balisé de façon artisanale. La grotte a une issue au nord (l’issue nord a été fermée) et deux au sud. Elle a été occupée à des époques protohistoriques mal déterminées et une vie s’y est maintenue sans doute jusqu’au Moyen-Age, en lien peut-être avec un habitat du côté du mas des Loups. Seule, j’ai préféré ne pas m’y aventurer. Pour le retour en boucle, j’ai rejoint la route en mode sanglier mais cela ne présente aucune difficulté car la garrigue n’est pas hargneuse et la route se repère à vue.
Site couronnien d’Eygalières (B.-du-Rh.), Ph. Coiffard, Bulletin de la Société préhistorique française, Année 1962, 59-3-4 pp. 239-251
Eygalières : chronique d’un village de Provence, Suzanne Pezet, Maurice Pezet, Equinoxe, 1997

Je contourne le vieil Eygalières par l’extérieur, longeant le rempart ; la tour du pigeonnier de monsieur le Prieur émerge derrière la chapelle et la vieille église.

Une bien agréable balade au pays des mas et des oliviers, avec de nombreux centres d’intérêt et des anecdotes à raconter, sans difficulté sauf les rudes montées évoquées. Vous passerez sans doute un bon bout de temps dans le vieux village si vous êtes aussi curieux que je le suis. En ajoutant le musée M. Pezet, quelques lavoirs et la journée sera bien remplie.

Cet article a été écrit avec la collaboration de C. Delage, présidente de  l’association Les Amis du Vieil Eygalières qui a corrigé cette note avec minutie ;  les livres de M. et S. Pezet m’ont servi de support. Je remercie Jean-Michel Mathonière, chercheur reconnu et auteur de plusieurs livres sur le compagnonnage, qui m’a informée sur l’inscription du clocheton.

Image de l’itinéraire (modifié pour éviter mes errements) 11 km 500, 69 m dénivelée (+253, -253), 3h30 au total.
Variante bleue boucle baume Fernet 1.260 km, 46 m dénivelée (+49, -49), 25 mn environ ou plus si visite de la grotte
Les routes au format .gpx Vieil Eygalières St_Sixte Monastère et variante Baume Fernet

1Auro : le vent en provençal
2canonnière : embrasure (horizontale) percée pour accueillir le canon d’une arme à feu
3harpage : disposition en alternance ou en saillie des pierres d’une tête de mur, d’un angle
4Rôle : recueil des statuts et règlement de la vie communautaire ; il indique les tâches à accomplir et les fonctions de chacun selon le rang occupé sur la liste.  D’après le site des archives départementales du Vaucluse
5roumavage : pèlerinage ; roumiéu viage, c’est-à-dire le pélerin qui voyage à Rome

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Une réflexion sur « ** Du vieil Eygalières au monastère de l’Epiphanie en passant par la chapelle Saint-Sixte »

  1. de bons souvenirs de ce magnifique village découvert lors d’une itinérance dans les Alpilles en 2014, on y avait planté notre tente et comme toujours, ton reportage est super documenté.

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