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*** Au Poil !


Une randonnée préparée de longue date et à laquelle j’avais renoncé à cause du long trajet depuis Aix en Provence : c’est la visite du village abandonné du Poil, rattaché à Senez depuis 1974. Les Alpes-de-Haute-Provence à pied de l’Ubaye au Verdon et au Luberon, topoguide, ADRI, Association Départementale des Logis de France, FFR, FFR, 2002 (fiche pratique 14, sentier balisé). Montagne de BeynesNous partons du parking de Chabrejas 1016m qui déjà nous offre la vue sur la montagne de Beynes… et quelques nids de processionnaires du pin.

Le diaporama des photos

IMG_8397Nous commençons sur route (D17) ; dans le deuxième virage, le chemin décrit un large lacet à l’intérieur duquel se blottit le gite du Poil, dans son écrin montagneux ; c’est l’ancienne ferme du Saule Mort, sans doute celle où mourut Violette Ailhaud, l’auteure de l’homme semence, Parole éditions, collection Main de femme, juin 2012. La manière dont ce petit livre a été révélé au public puis édité, le thème de cette histoire vraie qui se déroulerait au Poil, l’âge de l’auteur (84 ans), en font déjà un écrit extra-ordinaire. Il a fait l’objet d’une bande dessinée et de plusieurs mises en scène. L’éditeur a probablement brouillé les tentatives d’identification des personnages réels en changeant certains noms , dont celui de Violette (pas de naissance à ce nom au Poil en 1835).

Les circonstances : dans la succession de Violette Ailhaud, il y avait une enveloppe qui ne pouvait être ouverte par le notaire avant l’été 1952. Après ouverture, l’enveloppe devait être confiée à l’aîné des descendants de Violette, de sexe féminin exclusivement, ayant entre 15 et 30 ans. C’est Yveline, 24 ans, qui s’est retrouvée en possession du manuscrit en juillet 1952.
Extrait de la préface : L’histoire que je raconte aujourd’hui, au soir de ma vie, s’est déroulée en provençal. […] Pourtant, j’ai choisi d’écrire notre histoire en français pour que ce dont je témoigne, se répande au delà de notre région et parce que j’aime aussi cette seconde langue.
Le résumé : « En 1852, Violette Ailhaud est en âge de se marier quand son village des Basses-Alpes est brutalement privé de tous ses hommes par la répression qui suit le soulèvement républicain de décembre 1851. Il s’écoule plus de deux ans avant qu’un homme n’apparaisse »

Philippe Larue, journaliste à la Provence, pense que c’est Entrevennes qui est décrit dans ce livre. Mais est-ce important que ce soit tel ou tel village déserté ?

IMG_8400Pont sur le ClovionNous traversons un bois de hêtres qui surplombe le ravin de Chastelar ; ne dirait-on pas que cet arbre maigrichon retient le gros rocher ? au sortir du bois, nous traversons le Clovion sur un pont – autrefois un gué – puis longeons la rive droite du torrent. La piste monte ainsi jusqu’au village du Poil.

LE_POIL-04 blasonSur le blason du Poil, on peut voir un chameau, plutôt rare en héraldique : il désigne généralement les voyages vers le Levant et symbolise le courage et la piété. Mais dans le cas du Poil, la relation avec la commune est plutôt… tirée par les poils ; l’extrait de l’Armorial des communes de Provence par de Bresc : « Le Poil ou […] lou Peou était du diocèse de Riez et de la viguerie de Castellane. Le chameau a été placé dans les armes de ce village parce que cet animal porte un poil fin et serré dont on fait des étoffes. Ainsi le mot de poil a fait naitre l’idée de chameau. »

maison albert cotteMaison d'Albert Cotte ?Dès l’entrée dans le village, je suis charmée ; un randonneur me montre la maison d’Albert Cotte qui a raconté sa vie, simple et épuisante au XIXè,  dans le village du Poil. Albert Cotte, la vie de ceux d’avant – Souvenirs d’un simple paysan de la vallée de l’Asse, Edition Alpes de Lumière, 1990. Beaucoup de maisons ruinées entourent les quelques maisons reconstruites mais on sent que le village revit.

Dans l’ancienne mairie habitée, un membre de l’association les Amis du Poil nous parle des chantiers de bénévoles qui entretiennent, débroussaillent et reconstruisent les murs en pierres sèches. Sur l’accueillante place du village, près du tilleul, la fontaine coule à nouveau, une belle eau fraîche et pure. Un canal de pierre amène l’eau jusqu’à un abreuvoir. Sur le mur de la maison près de la mairie, des peintures religieuses sont encore visibles. De la place on voit encore les cultures en gradins sur le versant opposé. A disposition des randonneurs, un refuge de l’association Renouveau Traditionnel.

Avant de manger, nous grimpons par le sentier qui mène aux hameaux ruinés de Villard et Creisset ; quand nous sommes en position dominante, nous reconnaissons tout en bas le gite du Poil et ce que l’on appelle l’enclave de la commune de Senez avec les anciens hameaux de la commune. Trois randonneuses hardies escaladent le rocher le plus haut avec le chien de berger sur leurs pas.

Le rocher dominant le Saule Mort

Les sculptures du transeptLittéralement collée à une grande arête calcaire redressée à la verticale, l’église dédiée à Saint-Laurent est un curieux mélange d’ancien et de moderne ; dans le coin gauche, un vaste vase de pierre ayant pu servir de fonds baptismaux ; blotties dans l’ombre du toit du transept, quelques gargouilles taillées par les restaurateurs, épient nos faits et gestes. Je trouve les colonnes de mauvais goût, en style et couleur mais peut-on le reprocher à ceux qui la restaurent avec de piètres moyens et sont toujours à la recherche de dons ?

Pailloux Le Poil

Pique-nique joyeux et festif où s’échangent de bons breuvages, le vin de sureau par exemple, et les recettes qui vont avec ; le gardien du village goûte avec nous une spécialité malgache cuisinée par Yves. Moment de partage convivial et plein de surprises.

La tombe de P. CougnotAprès sa mort en Inde le 28.01.2010, Philippe Cougnot a été enterré à l’entrée du cimetière. Il était thérapeuthe de la violence, auteur de La violence faite à l’esprit (Sgui Thigou), 11 ans en Inde avec les Tibétains en exil. C’est lui qui a ramené l’eau au village. Marine, sa nièce, y prenait ses vacances, sans électricité, dans l’ancienne école qu’il rénovait dès 1972.  Il fit reconstruire sa maison avec des méthodes traditionnelles et relança une fête le 25 juillet, où l’on distille la lavande des sommets sur la placette près de la fontaine. Ce guérisseur, féru de bouddhisme, a trouvé au Poil une « vibration ».

En 1836, le village comptait 368 habitants ; en 1866 : 319 habitants ; en 1906 : 169 habitants. Tous vivaient de l’agriculture traditionnelle, moutons, blé, fruits, légumes : M. Fabre a même reçu la médaille de bronze pour son miel au concours régional d’agriculture de 1867. Aucune route carrossable n’existait et c’est à pied ou à dos de mulet que l’on rejoignait Barrême.
La seigneurie du Poil était partagée entre dix coseigneurs dont Poilroux, Carbonnel, de Chateauneuf, d’Alayer, de Costemaure et d’autres, propriétaires d’un minuscule bout de terrain.

Derrière l’église le sentier panoramique descend, sans difficulté puis avec des passages dégradés qui réduisent sa largeur et frôlent le vide. Quand nous sommes en bas, nous cherchons l’étang aux serpents qui ne dévoile qu’un  coin d’eau ; L'étang aux serpentsMoutons à la ferme de la Préeaprès deux grands lacets, à la ferme de la Prée, les moutons se blottissent les uns contre les autres sous un arbre. Au lacet suivant, nous longeons le Clovion jusqu’au radier sur le torrent ; là après quelques hésitations, Baignade sur le pont du Clovionles uns se déchaussent et profitent de l’eau fraîche du torrent, les autres se reposent en discutant.

la piste qui rejoint le parkingLe sentier caillouteux remonte durement jusqu’au parking. fleur sureauLe thé glacé est encore meilleur après l’effort. Après un petit arrêt pour récupérer quelques fleurs de sureau, nous repartons avec plein de bons souvenirs dans la tête.

Une randonnée en immersion dans la Provence rurale et désertée de la fin du XIXè. Ceux qui aiment l’authentique, la nature et le silence, pourraient bien trouver que  ce village ressemble au bonheur…
le Poil traceImage de l’itinéraire 12km800, 3h35 déplacement (6h au total), 332m dénivelée (+450, -450)

Le Poil : du latin podium, petite éminence d’où l’interprétation la plus courante lou péu, rocher droit planté comme un pieu.

©copyright randomania.fr

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