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Graffiti marins du cap Sicié


Aujourd’hui ce sont André et Raphaëlle qui nous emmènent à la découverte des graffiti du cap Sicié ; c’est une découverte sportive, à la fois secrète et sauvage, que seul un guide connaissant les lieux pouvait nous proposer.

Grâce à Michel, j’avais découvert dans la nature les dessins des derniers bergers du Garlaban ; grâce à un club de randonnées, j’avais visité les dessins gravés dans la pierre de l’artiste contemporain Louis Douard.
Michel a depuis longtemps fait le compte-rendu de cette découverte dans Le brusc, forêt de six fours, domaine du cap sicié… découverte de gravures mais dans mon cas, c’est toujours nettement plus long…

Mon album du jour

Le site d’André et Raphaëlle, avec photos et données techniques

Les photos de graffiti du photographe Jean Huet

Je rejoins Michel à Gréasque ; nous récupérons André et sa femme en chemin ; en venant du Brusc, direction notre Dame du Mai, sur la D816 goudronnée et encore ouverte à la circulation automobile puisque nous ne sommes pas en période de restriction d’accès aux massifs forestiers. Sur la gauche, une aire de pique-nique avec une grosse citerne verte.

Le Massif du Cap Sicié s’inscrit dans la Provence cristalline qui se distingue de la Provence calcaire par des roches affleurantes métamorphiques1. […] Les roches du Massif du Cap Sicié, bien qu’elles aient été formées en surface, ont été transportées en profondeur par le mouvement des plaques tectoniques où elles ont subi un phénomène de métamorphisme. Selon La Seyne c’est ma nature

Leur couleur, leur composition ne ressemblent donc pas à ce que l’on voit habituellement dans la Provence calcaire.

Nous traversons d’abord une forêt ; les premiers cistes roses à l’aspect froissé sont sortis avec leurs feuilles très duveteuses. Quand nous passons au pied d’un rocher aux multiples arêtes anguleuses, André me propose d’aller y chercher une cache à quelques mètres du sol ; je préfère ne pas faire attendre les membres du groupe…

Au-dessus de la forêt – 4 Le Quicon, alpaugre

Petit-aller retour jusqu’en haut du ravin qui mène à la plage de la Fosse ; situation incongrue : au beau milieu de cette forêt vide de monde, au-dessus d’un rocher couvert de terre fine, un homme, pelle à la main, nettoie les abords avec soin. Il rend accueillant le dolmen de la Lèque dont l’entrée se trouve sous nos pieds. C’est un dolmen naturel.

5-le-dolmen-de-la-leque, alpaugre

Après cet aller-retour pas trop difficile, nous nous dirigeons vers le sud et vers la mer d’où nous pourrons voir Marseille, la forme caractéristique du bec de l’Aigle et les îles de Gaou et Embiez.

André tourne subitement à gauche dans la garrigue (zone 1 : Quicon-Montjoie) ; ça se complique, ça pique mais il sait où il va ; il s’arrête à un rocher de couleur rougeâtre sur lequel ont été gravés deux voiliers dont un avec trois voiles latines ; si les traits verticaux sont bien des antennes mobiles qui s’inclinent ou pivotent autour du mât, ce pourrait être un chébec à voiles et à rames. Parfois le voilier au trait léger sur une roche sombre est difficile à voir, ou au tracé incomplet.

Sur l’un d’eux je vois le marin chargé de surveiller la mer sur la plate-forme en haut du mât nommée nid-de-pie ; il voit tout à l’horizon, bien mieux que les autres marins sur le pont du navire.
Sur la même paroi rocheuse, plusieurs voiliers sont dessinés les uns à côté des autres : constituent-ils une scène réelle ?
La voile de l’un d’entre eux est quadrillée, facilitant l’identification de la forme des voiles et les pavillons qui flottent aux mâts. Les détails du gréement sont fidèles.

Emission de radio sur les graffiti : Autre radio Autre culture, interview


On s’enfonce encore dans la garrigue 100 m plus loin, sans prendre de l’altitude ; André me montre un aiguisoir naturel sur une face de rocher ; exposé au sud, celui-ci n’est pas couvert de lichens ; de nombreuses incisions plus ou moins profondes dans le même sens le plus souvent, couvrent le rocher. Pas commode de notre position d’y aiguiser quoi que ce soit. Est-ce une coïncidence si ce rocher est proche des graffiti ? ceux qui ont gravé au couteau s’en seraient-ils servis pour aiguiser leur lame ?

Nous rejoignons le sentier par le même zigzag serré qu’à l’aller ; attention de bien suivre le guide car au bout de quelques mètres dans la garrigue, on ne voit plus celui qui est devant.
Un raccourci nous rapproche de la mer ; nous rejoignons le sentier du littoral au pied d’un sentier déclaré sportif et dangereux : c’est pour nous ! nous commençons la montée, raide, très raide et inconfortable tant les pas sont hauts ; à plus de 11h du matin, même en avril, c’est rude une pente à presque 10% ! en 30 mn elle est avalée et quel contentement quand on est en haut de Montjoie !

A peine le temps de poser son sac que je pars à la découverte de ce vestige militaire de bonne taille, à trois niveaux : un poste de direction de tirs et de télémesure auxiliaire (PDT en abrégé) de la batterie d’artillerie côtière principale du cap Cepet à Saint-Mandrier.

Il dirigeait les tirs des batteries côtières entre Saint-Mandrier et Six-Fours. L’armée allemande l’aurait également utilisé pendant la dernière guerre, mais sans y installer de canons. D’après randojp.
En 1921,un programme de défense de la base navale de Toulon envisagea l’utilisation de canons de 340 mm devenus disponibles par l’interruption de la construction des cuirassés de la classe Bretagne. […] Ce programme se concrétisa […] Un tunnel de quatre cents mètres de long fut creusé depuis le littoral côté rade jusqu’au plateau de Cavalas : équipé d’une voie de chemin de fer, il permit l’ascension des canons jusqu’à l’emplacement des batteries. […]
La batterie de Cepet fut bombardée du 17 au 27 août 1944 lors du débarquement. Site modélisme spécialisé sur l’artillerie de défense côtière

La très longue portée du canon de 340 Mle 12 pour l’époque est d’environ 24 km en 1912 selon un manuel d’artillerie, 33 km en 1918 et plus de 40 km durant la seconde guerre mondiale. A partir de la reddition en 1942, les Allemands prennent possession de Saint-Mandrier et probablement de ce PDT auxiliaire qui n’a pas dû beaucoup servir à la France…
Nombreuses photos du PDT forum sudwall six-fours.

Les informations [de ce PDT] étaient envoyées par un gros câble vers un site de la Marine […] lorsqu’on retourne vers N.-D. du Mai. Site de J.-C. Autran

Mon énorme livre sur l’index des fortifications françaises s’arrête en 1914, je ne sais donc rien de plus.

A l’intérieur de ce PDT, des graffiti d’un autre genre tapissent les parois de béton. Il y a un style dans la typographie, rouge ou noire et les dessins d’un chien noir signé de l’artiste FedDog, manifestement habitué de cette casemate. Je relève un poème écrit en  bleu et quelques phrases énigmatiques : Suis-je aussi chiant que Ben avec ses « l’Art par ci, l’Art par là » ?, I’m a geek, L’oiseau volait si bas qu’il s’est planté dans mon front.

Nous nous installons pour le pique-nique le long du chemin de la crête. Echanges de bonnes choses à manger, échanges de bonnes balades ; le café apporté par les plus courageux nous requinque pour la suite.

Après la montée (nous étions à 262 m d’altitude), c’est la descente vers Roumagnan (zone 2) ; à 200 m d’altitude, les antennes de Notre Dame du Mai ressemblent à une tour Eiffel. La piste est nettement plus facile jusqu’au moment où on s’enfonce dans les bois, passant dans une zone un peu humide jusqu’à une dalle couverte de lichens ; les graffiti sont donc plus difficiles à repérer et à photographier car notre ombre parasite une partie du dessin. Les incisions semblent plus profondes et plus maladroites que celles de Quicon-Montjoie.

La piste dans la forêt de Six-Fours, à l’ombre des pins, nous ramène progressivement à notre lieu de départ. Mais il reste encore quelques graffiti à Montanier (zone 3), aussi difficiles à voir que les précédents même en agissant sur les réglages des photos !

A peine le temps de s’arrêter à côté de cette curieuse fleur que nous repartons ; ce parasite des racines du ciste, le cytinet hypociste (Cytinus hypocistis), n’a pas de chlorophylle.

La fatigue commence à se faire sentir mais sur le parking, nous nous promettons de recommencer. Merci André et Raphaëlle de nous faire partager vos découvertes.

Les accès aux gravures sont tous non balisés, et difficiles d’accès à travers une garrigue souvent hostile ; même André qui a parcouru plusieurs fois le massif a parfois hésité ; de plus, une fois sur place, il faut quand même chercher les bons rochers. A parcourir accompagné d’un guide.

Sentier du littoral de Saint-Mandrier à la Seyne et Six-Fours, avec explication des centres d’intérêt historiques.

image de l’itinéraire 8km140, 2h45 déplacement (5h30 au total), 186m dénivelée (+490, -490). Par souci de protéger ces lieux en cours d’étude, je ne donne pas de trace en téléchargement.

1métamorphisme : Lors de la collision des deux plaques Afrique et Europe, les roches sont transportées en profondeur où elles subissent un accroissement de la température et de la pression. On dit qu’elles sont métamorphisées.

Réflexions à l’attention des curieux sur l’identité des graveurs

Les bilans scientifiques de la DRAC et les travaux de l’association Rivages de Méditerranée rendent compte de l’inventaire de ces graffiti mais n’expliquent pas encore qui les a gravés et pourquoi. On en retrouve également dans les édifices religieux, les forteresses, édifices civils, etc.
Les graffitis de bateau dans le Var : un premier état des lieux, C. Salaün, Cahier de l’ASER n°16, pp. 71-92, 2009
Si l’on suppose que ces graffiti réalistes du cap Sicié représentent des navires d’époque, ils ont pu être gravés entre le XVe et le XIXe siècle, par des gens de mer.
En plein air, sur des surfaces lisses explosées au sud, ils sont gravés à l’aide d’une pointe métallique : couteau, clou, alêne, etc et sont de faible dimension ; de l’endroit où ces « artistes » travaillent, la vue sur la mer dévoile parfaitement la côte au nord-ouest : les caps (pointe de la Cride, cap Nègre,…), les îles Embiez et Gaou,  la baie de Sanary et au loin la côte marseillaise précédée des îles de Riou, Jarre à une petite quarantaine de km.
Même si la nature était probablement moins hostile qu’aujourd’hui parce qu’on y circulait pour la surveillance des côtes, je me pose la question de ce que faisaient là ces graveurs qui, le plus souvent, n’ont ni signé ni daté mais ont passé pas mal de temps sur place.

Hypothèse 1 : les gardias ou gaichiers de Six-Fours

Un système de défense des côtes est installé dès le XVe entre Sanary et Toulon utilisant un système optique, une ligne de farots, et plus tard de courrier permettant aux autorités de recevoir le rapport des surveillants.
Farots et lettres d’alarme : La défense des côtes entre Sanary et Toulon (XVe – XVIe siècles), Philippe Rigaud, Histoire de la Seyne-sur-mer, Six-Fours et Saint-Mandrier, Numéro spécial n°16 de 2016 :

Suite au rapport effectué par les surveillants chargés de l’observation maritime les autorités locales chargées de la surveillance du littoral rédigeaient un courrier dans lequel étaient exposés les motifs justifiant cet envoi (venue de voiles suspectes, débarquement, combats navals…). Ce courrier confié à un porteur à cheval rejoignait au plus vite la ville ou le village voisin qui, en prenant connaissance du message, rédigeait à son tour à peu près dans les mêmes termes une lettre jointe à la précédente qui était remise aux syndics de la ville ou village suivant.

A une époque où les pirates barbaresques tentaient régulièrement de s’emparer des cargaisons de marchands gênois, marseillais ou catalans, il était donc essentiel que les communautés soient averties des dangers. Pour preuve que ces surveillants connaissaient les bateaux et les lieux, voici un extrait d’une de ces lettres traduite dans le document ci-dessus de Rigaud :

[…] Par cette lettre nous vous informons comment,à cette heure, nous avons découvert et vu à Port Alguier dans les Embiers comme vous le verrez deux fustes et un brigantin ennemis qui sont arrivés la nuit dernière.
Pour cela, soyez informés et informez la côte comme d’habitude, en payant, s’il vous plaît, le porteur de son travail.
Ecrit à Six-Fours, le 4 septembre à l’heure de tierce.
Vos frères et amis, le bayle et les syndics de Six-Fours. A.C. Arles AA 20 f°32 4 septembre 1468

Les dessins auraient été gravés par les gardiens des côtes pour le compte de la communauté de Six-Fours (impossible de voir le cap Sicié depuis leur lieu de création). Ils apercevaient la côté aussi bien que du sentier de la crête.
Thème de recherche : quand la technique saura dater les gravures, il serait intéressant de rapprocher les scènes où figurent plus bateaux de la description des lettres d’alarme pour savoir si elles correspondent à un événement relaté par les gardiens…

Hypothèse 2 : ceux qui ont fuit la peste de 1720

En voyant la gravure des trois-mâts à voiles carrées, je pense au Grand Saint-Antoine qui a amené la peste à Marseille et en Provence. Dans le document La mort dans les villes du Sud, 1720-1721 : la peste ravage Toulon Conséquences démographiques et économiquesMichel Vergé-Franceschi, 2007, on y apprend que dans cette région du Var, certains ont préféré fuir dans la garrigue.

Mais le 17 [janvier 1721], meurt la fille du colporteur Gras, considéré comme l’introducteur de la peste pour avoir apporté des étoffes, débarquées en fraude du Grand Saint-Antoine. Aussitôt, les notables paniquent et fuient « à la campagne » […] De vastes espaces de verdures s’offrent à eux : garrigues et maquis paraissent plus sains que les rues étroites et tortueuses de Toulon.

Gaffarel Paul (1843-1920), La peste de 1720 à Marseille et en France précise au sujet de Bandol que les survivants épouvantés se sont dispersés dans les bois.
Aussi ai-je pensé que certains avaient pu fuir dans le massif de Sicié et y laisser une trace ; mais les gens persuadés que la peste était une punition divine, auraient sûrement ajouté des éléments religieux à leur dessin. Ici, il n’y en a pas.

©copyright randomania.fr

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Une réflexion sur « Graffiti marins du cap Sicié »

  1. Bonsoir, je les connais ces graffitis pour les avoir vu et pris en photo (j’habite à côté). Le souci c’est qu’à force d’en parler, des voleurs peuvent détruire leur environnement pour les voler dès qu’ils déterminent l’endroit, c’est pour cela que nous les cachons un maximum.
    Amicalement
    Sylvie

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