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Lardiers, le Chastellard


Quand c’est Claude qui mène la randonnée, on est sûr qu’il y aura un peu de difficulté et quelques surprises. Majo, Julie, notre guide et moi stationnons à Lardiers, petit village des Alpes de Haute-Provence au pied de la montagne de Lure.
Lardiers : rien à voir avec la mésange charbonnière (provençal lardié) ou le sol brûlé (occitan ardre = brûler) selon la toponymie provençale de B et J.-J. Fénié ; UnDeBaumugnes propose une origine latine (Lardarium = cellier), qui, en vieux français, désignait le garde-manger ; personnellement, je pense plutôt que Lardiers vient de ladrerie, dénomination de léproserie au moyen âge. Créée par les Hospitaliers à l’origine du village, elle est indiquée dans une charte de 1226, puis peut-être, transférée à l’Hospitalet au moment de la construction de la commanderie.
En passant, nous repérons le bistrot de pays qui nous désaltérera au retour : l’après rando est toujours un moment convivial et réparateur. Le soleil printanier et ses premières fleurs sont au rendez-vous.

Lien vers mon album

Album facebook de Jean-Pierre Alpes : Lardiers

Nous démarrons peinardement sur la route sur laquelle nous croisons les organisateurs du prochain trail de Lure qui démarre de Forcalquier, passe par Lardiers, Saint-Etienne-les-Orgues, monte vers Fontienne et les Mourres.

Face au champ de lavande, l’oratoire Saint-Joseph (sans statue de Joseph) marque le croisement de deux routes. A partir de maintenant, nous attaquons la montée, qui sera de moins en moins évidente, un peu sauvage dirons-nous. Claude nous offre les premiers tapis de fleurs jaunes. La montée est continue mais heureusement pour nous pas directement dans la pente.  Nous nous enfonçons maintenant dans un sous-bois ponctué de quelques clairières. Nous longeons la limite entre Ongles et Lardiers. A 850 m d’altitude, le paysage plein sud se découvre : je reconnais bien le pic de Bertagne avec sa face abrupte, la montagne Sainte-Victoire et tous ses baous en dentelle irrégulière.

Là, Claude décide de rejoindre en mode sanglier la combe de Gamby ; chacun choisit le passage qui lui convient dans la végétation basse et dégringole deux ou trois courbes de niveau. Sur quelques mètres seulement, nous marquons notre étonnement : ici et pas ailleurs, quelques plants de narcisses reconnaissables à leur longue tige plane, leur coronule en forme de coupe orangée, leurs fleurs groupées en ombelle penchées en arrière  ; après le sous-bois d’arbres dénudés, nous quittons la piste – dommage –  pour un sous-bois moussu avec le muguet qui n’a pas encore de clochettes. Encore un clapier puis une zone découverte : c’est à partir de là qu’il n’y a plus guère de passage visible ; il faut veiller à maintenir une direction NO-N de 347°. 200 m avant l’arrivée au sommet, c’est la vue sur la vallée du Largue.

Tandis que Claude cherche le fameux mur d’enceinte dont il a gardé le souvenir, je me dirige à la boussole sur le waypoint associé dont il m’a donné les coordonnées ; passage ardu dans les broussailles, et par une pente raide : il est toujours là ! Bien qu’en partie écroulé, on devine encore son épaisseur. Un immense pierrier s’est accumulé à son pied. Les fortifications de l’oppidum des Sogiontiques du Ve avant J.-C. à l’ère chrétienne, étaient constituées de deux voire trois murs d’enceinte en pierre sèche avec en son centre le village indigène.
Après une bonne suée et quelques mètres en mode sanglier nous atteignons fièrement le petit plateau du Castellar de Lardiers, situé à presque 1000 m d’altitude en avant de la montagne de Lure. De gros buissons d’anthyllis rendent le lieu désert plus accueillant.

Après abandon du site, un sanctuaire très fréquenté s’installa sur l’emplacement de l’habitat jusqu’à la fin du IVe siècle. Le sanctuaire est formé de trois carrés concentriques ; celui du centre (cella) de 5 m, les deux plus grands encadrent une galerie couverte (peribole) dont les murs intérieurs étaient couverts d’un enduit polychrome à motifs géométriques. Mais aussi un portique direction nord-sud et des constructions exigues.

Vous ne reconnaîtrez pas grand chose car les fouilles ont été recouvertes ; vous devinerez sans doute la voie sacrée grâce aux murs qui la bordent.

Dès 1913 H. de Gérin-Ricard signale des milliers de lampes votives dont certaines portent des signatures connues, d’autres rudimentaires indiquant un pélerinage populaire ; A. Grenier considère ce lieu comme  un exemple de culte des sommets.
Suite aux sondages de 1955 à 1967, on sait que c’est un centre religieux important enseveli sous une montagne de pierres de 5 m de haut, un grand marché, un lieu d’assemblées fréquenté de la fin de la Tène au IIIe, détruit vers 260-270 au temps des empereurs romains Galien et Postume.
Sur la voie sacrée montant au sommet  de l’oppidum, bordée de murs en petit appareil, ont été trouvés 10000 anneaux de bronze, 3000 petites plaques percées d’un trou, des monnaies gauloises ou massaliotes des IIe et Ier siècles, des monnaies impériales de Néron à Constantin.
On trouve de nombreuses études sur ces objets, les uns s’étant penchés sur les dépôts métalliques1 (fragments d’armure, passoires, râpes, mais aussi les anneaux de toute taille, fibules, métaux cloués), les autres sur les lampes ou les monnaies. Un projet collectif de recherches devrait synthétiser tout cela et peut-être répondre à quelques questions telles que : quelle divinité était honorée ici ? belado dont le nom a été retrouvé sur un autel de la voie sacrée ?

Le Chastelard du Lardiers : de l’oppidum gaulois au sanctuaire gallo-romain, Objets de cultes gaulois et romains entre Rhône et Alpes, Paris, 2016, B. Girard, Cl. Malagoli, J. Roussel-Ode, L. Roux, N. Rouzeau
La Haute Provence monumentale et artistique, Raymond Collier, Digne, 1987
Carte archéologique de la Gaule CAG, n° 101, p. 238-252

Après avoir imaginé des milliers de pèlerins venus de toute la Gaule, nous nous installons autour de la grosse pierre plate qui nous servira de table de pique-nique.

Télécharger une excellente synthèse sur le Chastelard, Clodex

Nous reprenons notre route vers le pic Bouine et non pas Pébouine comme l’IGN l’écrit aujourd’hui. De bouina, borner en provençal car, si on regarde bien, le flanc ouest de ce pic sert de limite avec la commune de Saumane, et ses flancs nord et est servent de limites avec l’Hospitalet et Lardiers.

Les charbonniers de la montagne de Lure, émigrés piémontais le plus souvent, parlent d’une vie d’esclavage et de pauvreté. Leur arrivée en masse (6430 italiens en 1896, 11224 en 1910 dans les Basses-Alpes) correspond à un nouvel usage du charbon de bois (cuisine, chauffage, purification de l’eau).
Vivant en forêt loin de tout et de tous, souvent étrangers, ils n’ont pas très bonne réputation. Pierre Magnan s’en est inspiré dans son roman Les charbonniers de la mort, Folio, 1988.
Un vrai fait divers, la tuerie de Lardiers, concernant le charbonnier Emile Ughetto, eut lieu en 1936 à deux kilomètres du village ; le jeune Paul Ughetto, 18 ans, dans sa folie meurtrière, a tué toute la famille du charbonnier. Extrait du journal Le Petit Dauphinois du 22 octobre 1936 (Voir album facebook de Jean-Pierre Alpes).

A Lardiers, M. Sardou, illustre et rare propriétaire de forêts, faisait travailler ses équipes de façon permanente : soit avec le bois, soit avec la lavande. Comment le charbonnier prépare-t-il une charbonnière ?

Mieux qu’un long discours : vidéo Sabato le charbonnier (Cévennes)

  • il prépare l’emplacement pour qu’il soit parfaitement plat (10 m de diamètre mesuré au pas), sans feuilles ni cailloux, au cœur de la coupe, à l’abri du vent, dans un travers sans arbre, si possible non loin d’un chemin. S’il était impossible de l’installer sur un terrain plat, il était toujours possible de remblayer le terrain en le soutenant par des murets en pierre sèche ou au moyen d’étais de bois.
  • après l’adjudication des coupes de bois (chêne blanc et hêtre dans Lure) soumises aux règles du code forestier de l’époque, il coupe le bois à la hache (apia) – hache qu’il fallait aiguiser tous les 2-3 jours -, il l’ébranche à la serpe (faussoun) accrochée en permanence à sa ceinture dans le dos.
  • il le transporte à dos d’homme avec une chèvre, ou sur un traîneau qu’il construit lui-même. Il se place devant pour le diriger, et on accroche des chaînes pour freiner la charge dans les descentes.
  • il édifie la charbonnière en commençant par la cheminée ; la technique la plus répandue est celle de la cheminée carrée montée sur 1 m de haut, puis on dresse les bûches de bois bien serrées contre celle ci.
    Lorsque la base est terminée, il monte la cheminée sur une seconde hauteur, voire trois.
    La meule vient s’édifier contre la cheminée : la charbonnier place  tout autour les bois les plus gros, puis de diamètre moyen en mettant la base la plus large vers le bas.

    La base de la meule est entourée sur 50 cm de haut d’une bonne épaisseur de branches d’amélanchier entrelacées ou buis coupées l’hiver et conservées sur des claies.
    La peau est faite d’une couche de feuilles mortes (sur 10 à 20 cm d’épaisseur) puis d’une couche de terre.
    Il construit une échelle de bois pour monter en haut de la charbonnière.

    Il protège du vent sa charbonnière par des baragnes, barrière de branches de 2m50 de haut reliées par des barres et accrochées à des piquets.
    Il jette des braises au fond de la charbonnière afin de l’allumer : c’est le travail des hommes tandis que la préparation du petit bois, c’est l’affaire des femmes ; quand le feu monte jusqu’en haut, il obture le conduit de cheminée avec une lauze, feuilles et terre ; la combustion se fait alors lentement ; il la surveille toutes les deux heures, pendant une bonne dizaine de jours.  Des trous à la base laissent passer l’air.
    L’effondrement marque la fin de la cuisson.
    Il la laisse refroidir, récupère la charbon, le descend dans la vallée pour le vendre, parfois à l’aide de traîneaux lourdement chargés.

  • il construit la cabane nécessaire à son logement et celui de sa famille : cabane de bois au revêtement identique à la meule ou récupération d’un jas abandonné.

Une charbonnière contient entre 20 et 40 tonnes de bois, mesure 2 m de haut ; une charbonnière de 20 tonnes nécessite un mois de travail pour une personne et donnera 3 à 4 tonnes de charbon de bois.
Selon De mémoire de charbonniers, D. Musset, Les Alpes de Lumière 119, 1996

Excellente synthèse sur les charbonniers de Lure, par Clodex

Nous poursuivons notre périple par une belle piste forestière bordée de buis ; parvenus au sommet du Pic Bouine, la forêt s’étale partout à nos pieds et le signal de Lure, devant nous, sera notre point de repère. Claude décode avec agilité les aires de charbonniers, même celles qui n’ont pas l’évidence de la première aire rencontrée.

Reconnaissable à la terre noire sur une surface plane, elle se trouve à côté d’une cabane écroulée, celle du charbonnier. La seconde a été surélevée par un mur de soutènement. En grattant un peu la troisième, nous devinons la terre noire du charbon.

Dans la descente de Fléougière, Majo trouve de bien curieuses pierres blanches et lisses puis une autre bleutée entourée d’une gangue blanche et d’une autre grise qui l’emprisonnent.
Nous perdons par deux fois le sentier, manifestement déserté depuis la fin des charbonnières : c’est donc en mode sanglier que nous rejoignons le sentier puis  la piste caillouteuse qui suit le ravin de Combe Crue.

Arrivée à Lardiers ; bonne idée que cette bibliothèque de rue installée près d’une ancienne fontaine transformée en jardinière fleurie. Lardiers est une commune fière de son château : ancienne léproserie puis commanderie des Hospitaliers de Saint-Jean, transformé en bastide au XIXè, il a reçu un prix au concours de sauvegarde de l’association des Vieilles Maisons de France (2015) pour sa restauration. La Provence, 11/11/2015

Quand nous étions là haut, à cause du prénom de notre guide, nous avons évoqué la Chapelle Saint-Claude, forcément.

Deux indications permettent de mieux l’appréhender. C’est d’abord l’inventaire de 1906 qui la nomme chapelle Notre Dame de la Salette […] C’est à partir de 1851, année où le culte à Notre-Dame de la Salette fut autorisé suite aux apparitions de 1846 que la titulature de la chapelle a changé. Auparavant, elle était sous la titulature de saint Claude […] L. Pelloux indique que la petite chapelle de Saint-Claude fut, dit-on, édifiée vers la fin du 17e siècle, par un prêtre appelé Claude Brunier ; elle tombait en ruines, lorsque M. Fabre curé, la fit reconstruire en 1865. Sur la clef, evasée et saillante, est gravée la date de 1868. Site archeoprovence.com

Nous nous précipitons au café de la lavande, en rêvant d’une bonne bière fraîche. Le bar est ouvert, un chat dort sur une table, un sac à main est posé derrière la vitre, mais… il n’y a personne pour nous servir. Pas de pancarte sur la porte ; nous patientons quelques minutes, persuadés que sa propriétaire ne va pas tarder ; vaine attente, une partie de boules en cours peut-être ?… Déçus par ce bistrot de pays dont la cuisine a pourtant bonne réputation, nous quittons les lieux.

Une randonnée sans balisage, à la montée un peu physique ; peu fréquentée, la région de la montagne de Lure est riche de points de vue, de fleurs, de patrimoine et d’histoire : qui aurait pensé découvrir ici un haut lieu de pèlerinage de la région ?

Je me promets de revenir au Chastellard de Lardiers une fois mieux informée ; hélas, le musée d’Apt ne dévoile ses trésors que lors d’une visite guidée payante (50€, prix de mai 2017). Les offrandes, très nombreuses, ont été dispersées dans plusieurs musées de la région.

Image de l’itinéraire 13km680, 4h30 déplacement seul (7h15 au total avec pique-nique et visite), 267m dénivelée (+520, -520).

Télécharger la trace au format .gpx

1Les anathèmes sont des objets détruits ou des victimes immolées, offerts en expiation à une divinité : le sanctuaire de Lardiers en conserve des milliers, dont des octaèdres. 1cm. Alliage cuivreux.

©copyright randomania.fr

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Une réflexion sur « Lardiers, le Chastellard »

  1. Je vais proposer une explication sur le nom de Lardiers.
    Celui vient du latin Lardarium c’est à dire cellier.
    En vieux français (du moyen-age) le lardier désignait le garde-manger.
    Il est donc probable qu’à cet endroit était rassemblé les réserves de vivres de la communauté villageoise.

    Ps. Pour traduire brulé en provençal de Provence (Gavot dans ce cas) on dira Crama ou Brula plutôt que le mot gascon ardre.

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