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*** Le Contadour sur les pas de Giono et du film Crésus


Les propriétaires des terrains situés autour du GR Tour de la montagne de Lure vous informent qu’à dater du 1/1/2020, le sentier n’est plus accessible au public jusqu’à la crête ; les bergeries du Contadour situées sur leur propriété ne peuvent plus se visiter. Les articles du blog restent en ligne pour vous informer uniquement sur le patrimoine.

L‘idée de cette randonnée est venue d’une discussion avec Claude qui conteste la photo que j’ai mise dans un ancien article Les bergeries du Contadour censée illustrer le lieu de tournage du film Crésus.  J’ai regardé le film, observé attentivement le plan où l’on voit la bergerie de Jules et celle de Fine : j’ai conclu qu’il avait raison.
La deuxième étape, c’était de trouver quelqu’un qui connaissait bien Giono et avait visité les lieux de tournage ; j’ai donc contacté Michèle,  une passionnée qui alimente son blog Promenades en Provence dans l’univers de Jean Giono  : je n’ai aucun doute sur le fait que, si quelqu’un SAIT, c’est elle. Après quelques échanges épistolaires puis téléphoniques, fort sympathiques et détaillés, je situe avec précision la bergerie du film, l’école des Sartrons et même le Crédit Foncier des Alpes ! Lire son article sur Crésus ; je promets de lui ramener une photo de la bergerie de Fine et du jas de Bouscarle. La date fixée sera plutôt à partir d’avril car la neige peut être tardive sur la montagne de Lure.

Les photos de la randonnée

J’élabore donc un circuit inédit : je retrouve trace d’un sentier communal dont je ne connais pas l’état mais qui nous ramènera au hameau des Martins. La seule interrogation se trouve au niveau du chemin qui passe devant la Grange de la Roche.

Avant de poursuivre, geocacheurs, arrêtez-vous à l’entrée du Contadour, près de la chapelle.

Bienvenue au Contadour, YvesProvence

Nous stationnons après l’oratoire, au hameau des Martins, avant le gite de la Tinette devant lequel nous ne pouvons plus stationner. Nous retrouvons Yves Provence qui a publié la randonnée sur le site communautaire d’OVS.

Tout commence par une belle piste ombragée de pins qui sinue bientôt le long des champs de lavandes puis dans le vallon de Font-Brune. Au loin, Claude reconnait déjà la bergerie de Jules, non loin de la piste, au pied d’une petite élévation.

L’histoire : Jules, modeste berger de Haute-Provence, a pour voisine Fine ; lorsque Jules met la lampe à la fenêtre de sa maison et qu’elle l’aperçoit depuis chez elle, elle sait qu’elle peut le rejoindre. Un jour, au détour d’un sentier, il trouve un conteneur d’aviation qui contient près de deux mètres cubes de billets de banque. Ne sachant qu’en faire, il offre aux habitants du village un grand banquet qui attire aussitôt les convoitises et les jalousies de chacun des convives. Plus tard, Jules reçoit la visite de deux policiers qui lui expliquent, en raflant les dernières liasses, que ces faux billets étaient en réalité un piège de l’occupant voulant ruiner à la libération l’économie nationale. Le village retrouve sa quiétude.

Nous nous approchons, nous visitons : dans une plaque de ciment collée sur la pierre du mur de la vieille bergerie Moutte de Tinette, est gravé ‘Crésus’ avec la date du film 1962. Pas de doute possible. De grosses poutres de bois soutiennent la toiture de tôle ; les murs de pierre sèche témoignent de la construction à l’ancienne ; une auge est posée devant le bâtiment ; la citerne est protégée.

Depuis la bergerie de Jules (1296 m d’altitude), il me semble difficile de voir le jas des Agneaux, la soi-disant bergerie de Fine comme l’affirment beaucoup de sites internet touristiques. Située au nord, sous la crête (1366 m d’altitude), à plus d’un km à vol d’oiseau, comment pourrait-elle figurer dans le même plan que celle du héros (photo ci-contre en noir et blanc) ? Je suppose donc que certains se sont basés uniquement sur les dialogues du film ! Sur le terrain, elle se situe à 150 m seulement : c’est la magie du cinéma !

Jules : tu es déjà là ?
Fine : Tu as mis la lampe…
Jules : une minute, un kilomètre ! tu fais du soixante à l’heure, maintenant ?

Enigme soumise à votre sagacité : qui pourrait me dire, à partir de la photo aérienne des lieux de tournage prise par l’IGN le 27/06/1948, ce que pourraient être les faisceaux qui émergent de la bergerie de Fine ?

Cette ancienne bergerie Martin du Trait (nom figurant sur le cadastre napoléonien) n’a plus que les murs et certaines pièces sont écroulées. Le bâtiment en ruine devant et à angle droit, n’existait pas. L’ouverture béante surmontée d’un linteau de bois devait être l’emplacement de la porte : c’est le seul élément commun aux deux photos. L’intérieur est jonché de câbles noirs. A l’arrière, une dalle bétonnée devait servir à recueillir les eaux de pluie. Au sol, entre les deux jas, un vaste cercle de pierres blanches (est-ce que ce sont bien des pierres, je ne suis pas allée voir de près…) irrégulières m’interroge, comme un cercle magique, mais apparemment je suis la seule à me poser des questions… Rond de sorcière ? Cercle de protection pour les praticiens de la magie ? Matérialisation d’une rave party ?

3-1 Hommage à Jean Giono Crésus, YvesProvence

Après la bergerie des Chouscles, direction le grand hêtre du Contadour ; Yves y placera une cache, cela le mérite ; nous, les filles, essayons de l’enlacer ; étreindre un arbre aurait une influence bénéfique sur la santé ; nous sommes juste assez nombreuses pour en faire le tour totalement ! ce n’est pas l’arbre solitaire d’Un roi sans divertissement : il était trop jeune à l’époque du film. Le hêtre, abondant en montagne de Lure, peuple souvent les œuvres de Giono ; en grandissant, il apporte de l’ombre sous laquelle rien ne pousse, surtout quand il est seul comme celui-là.

Il y a là un hêtre ; je suis bien persuadé qu’il n’en existe pas de plus beau ; […] Il n’est pas possible qu’il y ait, dans un autre hêtre, où qu’il soit, une peau plus lisse, de couleur plus belle, une carrure plus exacte, des proportions plus justes, plus de noblesse, de grâce et d’éternelle jeunesse.
Il contenait autant d’oiseaux et de mouches que de feuilles. Il était constamment charrué1 et bouleversé de corneilles, de corbeaux et d’essaims ; […] Les forêts, assises sur les gradins des montagnes, finissaient par le regarder en silence. Extrait de Un roi sans divertissement

3.2 Hommage à Jean Giono – le grand fayard, YvesProvence

La montée continue dans un espace presque désert, à part le petit abri de pierre sèche. Quelques arbres bordent maintenant la piste ; le jas des Agneaux est en bien triste état. Nous avons l’impression que la crête est proche et pourtant plus on avance, plus on s’aperçoit que ça monte encore ; je pense forcément à la scène du banquet dans Crésus : imaginez l’insolite vision d’une grande tablée au sommet d’une montagne nue !

Bientôt le paysage s’ouvre vers le nord sur le village de Monfroc puis en plongée sur la vallée du Jabron, vers le nord-ouest sur le majestueux Ventoux : nous sommes sur le GR de pays Tour de montagne de Lure. Le pape de Lure, grand cairn de pierre sèche, matérialise le croisement où il va falloir redescendre au travers de vastes prairies d’altitude.

1.4 Hommage à Jean Giono – vue sur Monfroc, YvesProvence

En suivant ou pas le sentier, nous arrivons au second cairn, baptisé l’antipape, bien exposé au soleil ; comme lors de mes dernières visites, l’une en avril 2009, l’autre en septembre 2010, des centaines de coccinelles engourdies se réchauffent au soleil. A plus de 1400 m d’altitude, elles n’habitent pas ici : elles sortent de leur diapause hivernale. Côté ombre, vous n’en verrez pas.

Elles ont trouvé dans ce gros amas de pierres une cachette sûre et aérée dans laquelle elles peuvent passer l’hiver. Une fois bien réchauffées sur les pierres, elles s’envolent vers les vallées. Les femelles pondent leurs œufs au revers des feuilles déjà colonisées par les pucerons : les larves s’en nourrissent abondamment. Elles reviendront à l’automne se cacher sous les pierres.

1.5 Hommage à Jean Giono, le sous-pape, YvesProvence

Un peu plus loin dans la descente, on se trouve un petit coin de prairie pour le pique-nique, près de trois petits cairns rondouillards et d’un mini abri de berger, juste de quoi s’abriter d’un orage ou de faire une courte sieste à son ombre.

1.6 Hommage à Jean Giono – pour les petits, YvesProvence

L’environnement étant dégagé, nous coupons à travers les prairies pour rejoindre la piste des Chouscles ; après la coupe de bois, nous nous arrêtons près des ruines d’une ancienne bergerie, à peine identifiable, aux limites de Redortiers et la Rochegiron : c’est celle de Paul Fortunée à côté d’une borne-limite constituée d’un simple tas de pierres mais comme il n’y a que des pierres au sol… La piste du Long Terme (terme = limite) sépare ces deux communes  : nous allons la suivre un bon bout de temps.

Quand nous parvenons en vue du Jas de Bouscarle (et non jas de la Bouscarle, l’oiseau passereau, comme le nomme l’IGN), du nom de Martin Bouscarle, cultivateur, 37 ans en 1896 et père de 4 enfants (recensement La Rochegiron, 1896, image 9/11) qui l’a acheté fin XIXe. Tandis que le groupe discute et se repose, je descends quatre à quatre le champ pour tenir ma promesse : photographier le jas de face, comme sur l’ancienne photo où Jean Giono et Lucien Jacques, en grande discussion, sont assis devant l’édifice.

Un long tas de bois coupé borde le sentier d’accès au jas de Bouscarle ; cette bergerie de pierre sèche est bâtie selon la technique de l’encorbellement avec cinq coupoles successives ; en position dominante et relativement abritée du vent, elle permettait de surveiller le troupeau. Un abri de berger est aménagé dans l’épaisseur du mur d’enclos. Devant, peut-être une citerne de récupération des eaux de pluie.  La façade ayant été enduite, on ne voit plus le bel appareillage en arc comme dans la bergerie des Terres du Roux. Le linteau porte la date de 1904, qui correspond à l’édification par M. Bouscarle, de la cabane couverte de tuiles. En effet, sur le cadastre napoléonien (commune de la Rochegiron, parcelles 30 à 33, feuille 105Fi 169/006 Le Carlet), si on voit bien le puits et l’abri de berger, cette construction n’y est pas encore. A l’intérieur, sous une salle voûtée, deux alambics (?) attendent peut-être la prochaine récolte de lavande.

1-7 Hommage à Jean Giono – Jas de Bouscarle, YvesProvence

Lucien Jacques, le grand ami de Giono, était un fidèle des séjours au Contadour. Ils avaient de nombreux points communs comme la poésie et la littérature. Lucien Jacques devint l’ami des bergers, en particulier de Justin Nègre celui qui gardait le troupeau de Giono et des contadouriens.

Extrait de credo, Lucien Jacques.

Je crois à tout jamais en lui
Pour une main qui s’est tendue
Pour un regard qui s’est offert
Et puis surtout et avant tout
Pour le simple accueil d’un berger.

Dans la longue et facile descente à partir du Jas de Bouscarle, la grandeur du décor va s’accentuer : d’interminables espaces vallonnés, des champs de lavande à perte de vue qui courent vers le ciel bleu, plein de sommets que l’on n’identifie pas (pourtant en face, il y a sûrement Sainte-Victoire et Sainte-Baume…), des arbres isolés mais pas tristes, et aucune habitation. Quand on se trouve au centre de cet espace sans fin, on peut se sentir perdu sans les repères habituels, ressentir soudainement même une petite inquiétude : de quel côté est donc le parking ? certains ont tout faux ; heureusement, le groupe est là. Entre le coteau de Glaude et celui de l’Argeiras, des champs écrasés de soleil s’enfuient vers l’horizon, de beaux arbres solitaires attendent que nous les admirions ou… que nous les enlacions. Des hêtres le plus souvent.

Dans ce pays où l’on voit tout, on ne sait jamais les vraies distances. […] La terre semble s’allonger sous nos pas en lents anneaux souples éternellement déroulés. […] Et ce ciel qui m’aveugle, si bleu, à l’est, posé contre l’or des plateaux, on ne sait pas si l’on y arrivera jamais. […] Réflexions du chien Bourru lors d’une balade conduite par Giono le 6/9/1936

En bordure du sentier d’exploitation, de gros bidons porteurs de la tête de mort en rouge, sont abandonnés : c’est donc que les agriculteurs ne sont pas encore passés à l’agriculture biologique… Après deux lacets, en contre-bas, nous passons devant la Grange de la Roche, autrefois Grange du Curé de la Roche (Giron), aux jolis volets bleus. C’est le chemin de traverse du cadastre actuel, ou chemin de Forcalquier aux Omergues (1839) dont je n’ai pas confirmation du statut : public, privé, privé avec droit de passage ? Aucune interdiction mais la nette impression qu’on traverse une propriété privée.

J’ai contacté le service du cadastre de Digne avant de publier mon article. La personne qui m’a appelée au téléphone vers 14 h avait la bouche pâteuse et ne s’exprimait pas clairement ; je n’ai pas tout compris, mais retenu qu’elle ne savait pas et qu’elle ne pouvait pas savoir ! Elle m’a renvoyée vers la mairie de la Rochegiron, dont les ouvertures au public sont plutôt réduites… Donc si vous passez par là, même si la probabilité est forte que ce chemin, large et aisé, soit toujours public, n’hésitez pas à poser à la question au propriétaire si vous le croisez.

Pour rejoindre les Martins rapidement, j’ai trouvé un chemin communal pas du tout indiqué sur le terrain ; alors que nous sommes tentés de rester sur la route, le chemin vire discrètement sur la droite, dans l’herbe à peine foulée ; en l’absence de trace GPS, il est probablement difficile de repérer le chemin. Très agréable et surprenant, il longe un champ, fait le gros dos, frôle un jardin avec des arbres en fleur, passe à côté d’une ruine et débouche près de l’oratoire sur le GR de Pays. En quelques dizaines de mètres, nous rejoignons le parking.

Une randonnée inédite pour les amateurs de grands espaces et de Giono. Avec les caches de YvesProvence, les geocacheurs n’ont qu’à suivre les caches numérotées.

15 balades littéraires à la rencontre de Giono, textes J.-L. Carribou, Photos F.-X. Emery, le bec en l’air éditions, 2012

Image de l’itinéraire 15km115, 4h déplacement seul (6h10 au total avec pique-nique et visites), 290m dénivelée (+405, -405)
L’itinéraire au format route .gpx

1Charrué : labouré (sens métaphorique)

©copyright randomania.fr

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Une réflexion sur « *** Le Contadour sur les pas de Giono et du film Crésus »

  1. Merci pour cette rando que nous aimerions bien faire en septembre ou octobre. Pourquoi ne pas ajouter le fichier .gpx qui pourrait nous donner directement le parcours ? L’extrait de carte à la fin de la description est malheureusement illisible. Je suis un lecteur fidèle et je ne manque aucun de vos articles mais à chaque fois je regrette de ne pas avoir tous les éléments nécessaires à la préparation de la sortie. Amicalement. DD

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