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Le vieil Aiglun


Dimanche 14 octobre, jour de la tornade à Plan de Campagne ; j’ai préféré aller plus au nord où la météo annoncée est plus favorable. La balade balisée  ‘La route du temps’ (balisage jaune sur le terrain) commence à Aiglun, petit village non loin de Digne-les-Bains. Elle fait partie du topoguide de randonnées Digne les Bains et ses environs… à pied, FFRP, FFRP, 2003. Le début du tracé a légèrement changé à cause de récentes constructions d’habitations.

Tout commence par un sentier plein de galets et pourtant nous sommes loin de la mer ; ceux-là, d’origine lointaine, 5 milliards d’années peut-être, ont été transportés par les rivières de Basse-Provence qui coulaient vers le plateau de Valensole. Le vaste dépôt de Valensole est constitué de couches de galets plus ou moins grossiers selon les provenances et les courants. Il y en aura un peu au début et beaucoup dans la montée vers le Puy.

Face au premier panneau d’information géologique, un chêne aux racines dénudées tente de se maintenir en vie malgré l’érosion qui le maltraite peu à peu. Combien de temps résistera-t-il ? Bientôt le sentier s’enfonce en forêt et le terrain devient sableux. Le second panneau m’apprend que la mer a occupé la région puis s’est retirée ; sur les terres émergées, les forêts se sont installées ; les feuilles d’automne tombées dans le sable ont été vite enfouies, laissant aujourd’hui leur empreinte fossilisée.

Le sentier de sable se creuse en étroit goulet dans lequel il est plus difficile de se faufiler. Il continue de grimper, ondule, délaisse d’autres quartiers portant le même nom depuis plusieurs centaines d’années : le Collet, le Colombier. De loin, le clocher de l’église Sainte-Madeleine émerge des ruines du vieux village plus tout-à-fait abandonné. Un gite renommé s’est installé à l’entrée de l’enceinte fortifiée. Près des ruines de ce qui fut sans doute un château, je lève les yeux vers la seule personne que je croiserai en chemin aujourd’hui ; je la regarde, m’interroge sur cette rencontre peu probable à plus de 100km de chez moi : c’est Mireille, ma collègue de travail qui le même jour, dans le même lieu, à la même heure, a décidé de faire la même balade que moi, avec son mari.

Grâce à l’association des Amis du Vieil Aiglun, le clocher de l’église Sainte-Madeleine s’élève fièrement, la façade s’étale largement sur un promontoire de verdure. Un cadre champêtre qui invite à une pause. La cloche, seule désormais dans son clocher depuis que la révolution française a fait fondre deux de ses cloches pour en faire des canons, sonne fort, clair et tinte longuement.
Quand, à la révolution, on fit l’inventaire des biens de Pierre de Codur, seigneur en partie d’Aiglun, devinez ce qu’on trouva dans sa bibliothèque ? 20 volumes seulement dont 15 ouvrages religieux (une majorité de livres religieux fut recensé chez tous les nobles, preuve de l’importance de l’église).
Sur la porte de l’église  est inscrite la date de 1555, vraisemblablement la nef est bien de cette époque ; n’ayant pu visiter l’intérieur, je ne peux que vous rapporter ce qu’en écrit Raymond Collier, dans la Haute Provence monumentale et artistique, Digne, 1986 : trois travées voûtées en berceau brisé, un retable qui présente des toiles dont la facture archaïque le situe au XVIè (allure statique et stylisée des personnages), plusieurs éléments architecturaux témoignant d’un anachronisme étonnant.

Histoire d’Aiglun

Plusieurs noms propres reviennent régulièrement quand on parle d’Aiglun la noble : les De Rochas qui vont se succéder jusqu’en 1652, les De Baschy-Mathieu de 1511 à 1530 et les De Codur. Du XVIè à la fin du XVIIIè on découvre pas moins de 36 familles seigneuriales ayant chacune un morceau de fief !

En 1574, lors du mariage d’Honnorat de Rochas, sieur d’Aiglun, et de Jeanne de Meyran, la dot de la mariée comprend mille écus d’or sol, plus deux coffres garnis d’accoutrements et de joyaux, plus un cotillon de taffetas. Et le marié offre une robe de soie,… 150 écus de dorures et joyaux. D’après Raymond Collier

Le cimetière face à l’église est fermé ; s’y trouve la tombe de Mathieu Autric, officier d’ordonnance de l’empereur Napoléon 1er. Sa dame tient salon : le préfet y est assidu et aime tant recevoir en retour, qu’il n’interrompt pas sa réception le jour de la dépêche lui annonçant le débarquement de Napoléon !

Puis, après avoir longé un  verger à l’abandon, c’est la montée au sommet du Puy, sur un sentier raide et plein de galets, en compagnie d’un chien voisin qui va et vient sans arrêt ; entouré de montagnes, le point culminant nous offre plein de sommets aux formes et paysages différents : le pic d’Oise, pyramide presque parfaite, la montagne de Lure et son sommet dénudé, le Martignon et sa pente douce, les Dourbes en forme de barre. Nous redescendons jusqu’à la chapelle pour une pause pique-nique au soleil tout à côté de la chapelle.

Pour le retour, Mireille me signale la chapelle Saint-Jean en ruine que je n’ai pas vue à l’aller ; pas étonnant puisque je n’ai pas pris le chemin qui passe devant. D’art roman, il ne reste que « les murs gouttereaux1 de la nef à trois travées, l’abside en tuf, de minuscules absidioles flanquant la dernière travée de la nef » (selon Raymond Collier).

La descente est rapide mais malaisée dans les galets ; au loin l’orage s’annonce. C’est une belle balade, assez courte mais intense, intéressante à plusieurs titres. Itinéraire 6km600 A/R 370m dénivelée 3h20 avec la pause déjeuner

Les derniers habitants ont quitté le Vieil Aiglun en 1942 ; en 1962, un réalisateur Parisien s’y installe ; aujourd’hui, grâce aux manifestations (expositions, journées du patrimoine, concerts) qui y ont lieu, il revit pour notre plus grand plaisir.

1 gouttereaux : se dit des murs latéraux qui portent une gouttière

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