Plan d’eau de Monieux – belvédère du Castellaras
Voir la suite du parcours dans les gorges de la Nesque (2).
Dans ce canyon interdit, expression que j’emprunte volontiers au numéro hors-série de Pays de Provence Côte d’Azur, balades & randos, édition 2007, on accède à un monde étrange où l’on s’attend à croiser quelque aventurier en recherche de sensations. Grand avantage l’été : pas d’interdiction de circuler dans la région du Ventoux, le village de Monieux étant situé en zone A (voir note sur l’interdiction de circuler dans les massifs forestiers en Provence 2007)
Bob a préparé l’itinéraire avec sérieux, emmenant à la fois carte et GPS. Ti’Mars… et moi lui faisons confiance. Nous traversons quelques champs remplis de chardons géants et cardères sauvages dont les feuilles recourbées servent d’abreuvoir aux oiseaux. Dès le départ du plan d’eau de Monieux – lac du Bourguet dans lequel seuls les canards aiment se baigner -, la Nesque, qui prend sa source à Aurel (84), sur le flanc est du Mont Ventoux, est à sec et cela nous surprend. Elle ne possède pas de gros affluents, et reçoit, dans la partie amont de son bassin versant, les eaux de nombreux talwegs généralement à secs. Les écoulements s’interrompent dans les gorges … Ils redeviennent pérennes dans la partie comtadine (voir les gorges de la Nesque 2 pour plus d’information sur les pertes de la Nesque).
Nous empruntons un sentier très étroit qui surplombe les gorges et donne le vertige : je n’ose même pas prendre de photo. Le fond des gorges est invisible, caché par une abondante végétation ; nous passons sous les frondaisons de résineux et feuillus enchevêtrés ; à hauteur des yeux, de l’autre côté du ravin, ce ne sont que des grottes creusées par l’eau. Une heure plus tard, à 615m d’altitude, une autre difficulté : un passage avec crochets dans la roche (photo de gauche) pour descendre quelques mètres plus bas. Bob passe le premier. Je n’ai jamais désescalader de cette façon et j’avoue que je tremble un peu ; finalement, mes compagnons m’encouragent et ça n’est pas aussi difficile que cela. Quelques minutes plus tard, c’est la récompense ! près du lit du torrent, la chapelle Saint-Michel est là, avec ses trois rangs de génoise (habitude locale depuis le milieu du XVIIème siècle), blottie sous la grotte à étages, restaurée plusieurs fois, dont une en 1643 comme en témoigne la date inscrite dans la pierre au-dessus de la porte.
« ses remous [ndlr : les remous de la Nesque] ont pratiqué… des creux assez profonds pour devenir de véritables cavernes, parfois superposées en plusieurs étages comme, par exemple, les trois énormes affouillements qui surplombent l’antique ermitage Saint-Michel. » Extrait de Nature, la Revue des sciences et de leurs applications aux arts et à l’industrie, E.A. Martel, Masson et Cie éditeurs, Paris, 1903 (photo de gauche prise au début du XXème siècle). Le rez-de-chaussée est occupé par la chapelle ; pour accéder au 1er étage, occupé à l’époque néolithique, il faut monter à l’échelle étroite sur la droite de la chapelle, la sortie est lisse ; pour le 2ème étage, il suffirait de monter à une autre échelle très raide mais nous ne l’avons pas tenté. Quelques cordes pendent au plafond. L’espace de la grotte a été astucieusement utilisé puisque l’abside est coincée totalement sous le rocher. Une image de Saint-Michel est peinte sur la porte. Au XIXème siècle, c’était encore un lieu de pélerinage. Les nombreux écrits déposés par les randonneurs demandant à Saint-Michel de protéger leur famille en sont encore une réminiscence (Ti’Mars… sur l’échelle, photo de Bob13). Je suppose que le cippe votif gallo-romain1 est la colonne sur laquelle repose la table autel aujourd’hui. A y regarder de plus près, je pense qu’une entrée d’origine a été comblée et devait autrefois communiquer avec l’ermitage : un crucifix a été offert et accroché de ce côté en 1888.
Pourquoi cette chapelle est-elle dédiée à Saint-Michel ? cette histoire est peut-être un début d’explication. En l’an 492, un homme, nommé Gargan, faisait paître dans la campagne ses nombreux troupeaux. Un jour, un taureau s’enfuit dans la montagne et se réfugia dans une caverne. On lui décocha une flèche qui revint blesser celui qui l’avait tirée. Après trois jours de jeûne et de prières, l’Archange saint-Michel apparut à l’évêque et lui déclara que cette caverne était sous sa protection, et que Dieu voulait qu’elle fût consacrée sous son nom et en l’honneur de tous les Anges. Une chapelle y fut édifiée.
Les églises rupestres : Saint-Pons de Valbelle, Saint-Michel de la Nesque, Saint-Eucher de Beaumont, Les Alpes de Lumière, n°46, 1969
Nous quittons la chapelle pour tenter de rejoindre le belvédère ; mais ça se complique ; le GPS ne capte plus au fond des gorges et nous faisons de nombreux allers et retours inutiles dont une montée et une descente le long d’un câble métallique. Près d’abandonner, nous entendons des voix quelques mètres au-dessus de nous ; une falaise nous en sépare. A droite, impossible de les rejoindre. A gauche, une montée raide nous permet de rejoindre le groupe de danois accompagné d’un guide local. Ouf ! il va pouvoir nous aider. Face à notre carte, il hésite à nous situer. Je ne retiens qu’une chose : ne pas continuer dans les gorges sous peine d’être complètement bloqué et ne plus pouvoir remonter. Nous tombons sur un site archéologique complètement fermé. La pancarte est illisible. Il existe de nombreuses grottes préhistoriques dans les gorges de la Nesque dont le célèbre abri sous roche du Bau2 de l’Aubesier. Serait-ce celui-là ?
Je remercie Francis Hervieux pour son aide à l’identification du site et les références bibliographiques ; oui, je retournerai dans les gorges, un jour de pleine lune… * ARCHÉOLOGIE EN PROVENCE : BAU DE L’AUBÉSIER, 1998.
Le site a été fouillé plusieurs fois depuis 1901. Entre 1964 et 1987, aucune recherche systématique n’a été entreprise sur ce gisement important du Vaucluse. Dans le cadre d’un projet franco-canadien et international, le site a fait l’objet de fouilles sous la direction de Serge Lebel de l’Université du Québec à Montréal, les dernières en 2006.
Le sujet d’étude nous emmène sur la piste de l’Homme de Néandertal.
- Les dépôts de couvertures étaient tellement durs, les blocs calcaires tombés du plafond tellement lourds, qu’il a fallu utiliser des compresseurs et des marteaux piqueurs !
Les 8 couches archéologiques du Bau de l’Aubesier correspondent à des occupations humaines successives et sans doute parfois entremêlées (image extraite du site de l’Université du Québec). Elles ont livré : - des objets de pierre taillés par les hommes (assemblages lithiques) du Moustérien3 ils se servaient d’outils laminaires en pierre pour leurs travaux manuels et d’outils de bois pour chasser le gros gibier,
- et une grande concentration de restes d’herbivores. L’aurochs (43-53%) et le cheval (31-35%) dominent dans les couches inférieures. La fréquence du cheval dans ces couches place le site parmi les plus importants gisements européens d’Equidae. Il faut noter la présence du renne toujours rare à l’Est du Rhône. « …quelques belles pièces surgirent du sol, […] de qualité inimaginable après ces dizaines de milliers d’années passées enfouies dans le sol » (F.Hervieux). Ces nouvelles données indiquent que la Provence a constitué une entité biogéographique particulière durant le Pléistocène moyen.
- Tous les échantillons contiennent du pin, toujours dominant. Le sapin et le genévrier l’accompagnent. Les feuillus comme le hêtre, l’aulne, le noisetier, le tilleul sont sporadiques mais le chêne est plus constant.
- Les témoins archéologiques attestent d’une utilisation avancée du feu à l’intérieur de la grotte : silex chauffés, charbons végétaux macroscopiques, résidus cendreux, matières osseuses et dentaires brûlées à différents degrés. Les très grandes surfaces d’occupations humaines dans les sites moustériens sont rares : sans équivoque possible, le feu était bien présent.
- 2869 os et dents y ont été trouvés dont deux molaires avec une carie,
- ainsi que trois fossiles humains pré-néandertaliens (découverte majeure). « En effet, les chercheurs ont pu diagnostiquer une sérieuse infection de la mâchoire, qui a causé la perte des dents de cet individu. Malgré cette pathologie et en dépit du fait qu’il ne pouvait pas mastiquer, celui-ci a réussi à survivre pendant une longue période de temps […] Les chercheurs concluent que ces humains pré-néandertaliens possédaient des comportements sociaux et des habiletés technologiques beaucoup plus avancés que ceux connus jusqu’à aujourd’hui. » Voir l’article scientifique en anglais * Comparative morphology and paleobiology of Middle Pleistocene human remains from the Bau de l’Aubesier, Vaucluse, France
Pour en savoir plus :
* Le site de l’université du Québec consacré au bau de l’Aubesier
Vous aurez sans doute du mal à imaginer la vie de l’homme de Néandertal. Je vous suggère alors de lire cette paléo-fiction, écrite par Jean Jacques Régnier, documentaliste et auteur de science-fiction : Les grands hommes, sur la Bau de l’Aubesier. Il nous fait plonger dans une probable rencontre entre Néandertaliens et Sapiens, avec toutes les incompréhensions pouvant exister sur l’autre.
Finalement, grâce à un petit coin de ciel bleu, Bob parvient à nous remettre sur le droit chemin avec son GPS de randonnée ; un modeste cairn de l’autre côté du torrent confirme que nous sommes sur la bonne voie. La montée est difficile car il fait de plus en plus chaud mais nous tenons à tout voir depuis le belvédère du Castelleras. Cyclistes et randonneurs essouflés, près de la stèle ou de la table d’orientation, s’y retrouvent pour une pause bien méritée. Un peu plus loin, sous un surplomb rocheux, nous prendrons notre pique-nique avant de redescendre.
Merci à Bob13 de m’avoir fait découvrir ces gorges sauvages qui devraient ravir même les plus blasés et d’y avoir placé une cache les gorges de la Nesque (GC14W4).
Circuit n°10 du Topo-guide, Le pays du Ventoux à pied, 9km, 3h
Itinéraire de Montagne Cool, 5h
Descriptif détaillé d’un autre itinéraire par les Baladins Vauclusiens, 5h
Circuit 26 des Nouveaux Guides Franck – Luberon Mont de Vaucluse, niveau technique 3 sur 4, 3h15
Notre itinéraire dans les gorges de la Nesque avec ses errances, 8.400km, 2h45
1 cippe (un) : colonne tronquée, stèle quadrangulaire sur laquelle figurait souvent une inscription ; petite construction en pierre marquant l’emplacement d’une sépulture.
2 bau (ou en français baou) : à l’origine, sommet, hauteur, escarpement de rocher, falaise ; excavation circulaire sur les plateaux calcaires de Vaucluse
3Le Moustérien est la principale manifestation culturelle du Paléolithique moyen en Eurasie (environ – 300 000 à – 30 000 avant JC)
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pour habiter à proximité (coté isle sur sorgues) au bord de la route, de ville sur Auzon en direction du lac de Bonieux ; emprunter la promenade touristique, on peut apercevoir des borries disséminés de part et d’autre de la route. un lavoir taillé en contrebas d’une maison suplombant cette meme route. et dans les éboulis il n’est pas rare de trouver des pierres taillées. mais des yeux exercés sont nécéssaires. Quelques outils cachés sont toujours en place à proximité des abris. Si des marcheurs sont intéressés de redécouvrir ces endroits je me ferai un plaisir de vous les présenter. les chasseurs sont souvent la meilleure info.
Une bien belle fiche rando ! (qui foisonne de moult détails et anecdotes vécues par l’intrépide trio d’Aventuriers que nous fûmes !) Je refais la balade par la pensée !
Pour peu en fermant les yeux, je me transporterais dans une autre époque et partagerais un moment avec notre ancêtre, autour du feu !
Un grand merci à Nicoulina pour ce travail de recherche conséquent qui donne du sens à ce circuit que j’ai parcouru en ‘simple touriste’…
Dure journée si l’on rajoute les 3 heures de virages entre Aix et Monieux.
Dommage que je n’ai pas lu ton blog avant d’y aller 😀