** La Débite et la grotte des Ermites depuis Allauch


Je suis arrivée là pour suivre le chemin de la glace suite à la visite de la glacière de Mimet (restaurée entre 10/2015 et 03/2016) et trouver la grotte des (H)ermites du Clos de Notre Dame des Anges. Cette rando est à la fois physique et digne d’intérêt pour les curieux.

Départ tôt à cause de la chaleur. Sur le chemin de Mimet, nous avons croisé quelques chèvres du Rove en liberté, puis vu le club de tir, et non loin du club de dressage canin, nous avons laissé notre véhicule ; en effet, la piste qui remonte vers le nord sera interdite aux véhicules 500 m plus loin. Tour d’horizon : le Pilon du Roy montre sa face cachée, comme une dent creuse. Sous nos pieds le canal de Provence en souterrain.

Le premier oratoire placé sur le chemin du pélerinage à Notre-Dame-des-Anges au milieu du XVIIIe, a perdu la niche de sa statue ; la base massive de sa construction est identique à ceux qui suivront. Le second placé au niveau du domaine de Saint-Joseph et la ferme Notre-Dame-des-Anges, est maintenu en état depuis des siècles.

En contre-bas, André remarque une petite locomotive posée sur une voie ferrée étroite (type Decauville, à vapeur au XIXe) montant vers le nord (le Tourdre). Utilisée dans les exploitations minières, elle aurait pu permettre l’évacuation du minerai depuis une petite mine de bauxite mais aucune n’est proche ; le propriétaire l’a-t-il utilisé pour son exploitation dans les vignes ? En tant qu’amateur de patrimoine ferroviaire, l’aurait-t-il récupéré d’un parc d’attraction ou d’un collectionneur ?

Avant le carrefour de la citerne de la Débite, il faut obliquer sur un chemin non balisé sur la gauche ; il rétrécit progressivement, longe un champ d’oliviers.

Bientôt sur la droite un ensemble de bâtiments contigus confirme qu’il s’agit bien du lieu de la débite de la glace – découpe et vente – au XVIIe siècle.

Un peu plus loin, l’intersection près de laquelle figurent le puits de la débite et au nord le ragage1 de la débite : les eaux de fonte étaient-elles dirigées vers ce trou près du ruisseau ? Vous pouvez rejoindre facilement la citerne par le sentier au-dessus des bâtiments, là où les mulets devaient probablement décharger leur cargaison.

La glace, produit de luxe convoité au XVIIe, était fabriquée l’hiver sur 10 cm d’épaisseur, dans des bacs de congélation probablement situés au lieu-dit Passe-Gat (voir cadastre napoléonien de 1833), le long du vallat Saint-Joseph, en contre-bas de la glacière. Brisée et transportée jusqu’à la glacière, elle y était emmagasinée jusqu’aux beaux jours.

En juin, brisée à coups de pioche et de masse, elle était chargée la nuit, transportée au petit matin en convoi de mulets par le col Sainte-Anne et le chemin de Marseille, jusqu’au lieu où elle sera débitée et vendue : 4km600 par un chemin caillouteux qui monte continuellement – avec parfois de courtes pentes supérieures à 15% – puis redescend jusqu’au lieu-dit la Débite. Un mulet chargé de 80 à 100kg se déplace à la vitesse de 400m en une heure en montée, et 300 en descente. Environ 2h de déplacement en tenant compte des aléas. Vers 1642 il fallait des muletiers professionnels payés cher pour réaliser cet exploit.

Au niveau bas, plusieurs bâtiments, sans fenêtre, avec une porte étroite et des murs épais pour limiter les échanges avec l’air extérieur ; au milieu un établi étroit sur lequel les ouvriers cassaient la glace ; les petites ouvertures au niveau du sol permettaient l’évacuation des eaux de fonte. L’escalier mène au niveau supérieur, celui du stockage de la glace selon moi. Près des ateliers, le mulet était attaché à un anneau dans l’attente de son départ pour Marseille, par le portail aujourd’hui fermé.

En 1648, Madame de VENEL obtient du Roy de France, le privilège de construire, à elle seule, des glacières en Provence, et de faire vendre et débiter toute la glace qui en sortira.
La fourniture de glace n’étant pas toujours à la hauteur des besoins, à la débite, tout le monde s’y dispute : majordomes, propriétaires de bar, population… ; la police est présente. Si le fermier de la glace ne peut fournir selon le contrat signé, il fait venir la glace de plus loin (Isère, Ventoux)… ou paie une amende.

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Notre Dame des Anges, retour par le sentier des pélerins


Notre-Dame-des-Anges, voilà un lieu sacré fort ancien (ermitage et couvent), caché dans le massif de Bau Trauca dont les toponymes activent l’intérêt des curieux : grotte de l’Ermite, lieu-dit Paradis et ses légendes associées ; il y a aussi Notre-Dame-du-Rot que nous n’avons pas encore réussi à rejoindre jusqu’au bout… C’est André qui a préparé aujourd’hui.

Un grand parking sur la route de Notre-Dame-des-Anges après l’oratoire (photo google maps) accueille les chasseurs, les randonneurs, les VTT et les amateurs d’escalade au Pilon du Roy. Une piste mène jusqu’au col Sainte-Anne avec points de vue sur Gardanne, sa haute cheminée, ses tours de réfrigération et Sainte-Victoire.

A l’oratoire du col, nous basculons sur l’autre versant de la montagne, côté sud et quelques lignes à haute tension. Dans un lacet serré de la route, nous ne trouvons pas la piste prévue à gauche mais apercevons un improbable mur de pierres au pied d’un rocher. Nous continuons donc la piste – encore un mur de pierres là-bas ; le portail d’accès au lieu n’est plus fermé : nous quittons la piste menant à Plan-de-Cuques pour ce sentier qui arrive au pied du sanctuaire .

Qui dit privé, dit interdiction d’entrer sans autorisation ; nous ne verrons donc pas grand chose : les murs ruinés de l’ancien couvent, l’hostellerie qui accueillait les pélerins et peut-être les citernes. Pour le reste le meilleur document illustré de gravures anciennes et d’un plan, est sans doute celui de Paul Courbon dans sa chronique souterraine.

… une belle grotte de 60 mètres de longueur, avec des stalactites et des congélations fort curieuses, terminée par une double grotte, l’une supérieure où était l’autel de Saint Philippe de Néri, l’autre inférieure qui forme le sanctuaire de l’église, communiquant par un arceau naturel avec la Baoumo Vidale transformée en une grande chapelle à laquelle l’ouverture du clocher sert de dôme.

Père Miollis chroniqueur de ND des Anges au début du XVIIIe

Puisque légende il y a, j’ai d’abord essayé de distinguer les faits de la légende à partir des documents ci-dessous :

Noël Coulet, L’ermitage de Notre-Dame-des Anges de sa fondation (XIIIe siècle ?) à l’installation des oratoriens, Provence Historique, 2018, 68 (264), pp.401- 420

Ferdinand André1, Notice historique sur la maison et solitude de Notre-Dame-des-Anges au territoire de Mimet, diocèse d’Aix, Marseille, typogaphie Vial, 1856

  • L’établissement de cet ermitage remonterait au commencement du XIIIe siècle (charte sur parchemin en provençal médiéval), vers l’année 1220, par frère Jean qui s’installe dans une grotte, la grotte Vidale, repère de serpents. Frère Antoine fut le compagnon de ses premières années.
  • 1392 : Clément VII accorde une indulgence à ceux qui visiteraient ce lieu
  • 1526 : signature d’un bail en faveur de la confrérie par le seigneur de Mimet Marc Froissard Chaussegros
  • 1604 : ermitage donné aux Camaldules ; bail signé dans la maison de Claude Fabri de Peyresc, seigneur de Calas,d’un circuit de terroir … tout alentour de l’église Notre-Dame-des-Anges … pour bâtir et construire une église et couvent sous le titre et ordre de saint Romuald
  • 1607 : ermitage abandonné par les Camaldules (sans doute pas assez silencieux…), les ermites de Saint-François y retournent (Constant Maurel, Honoré Chabrand)
  • 1625 : nouveau bail sur un terrain que les ermites avaient irrégulièrement envahi
  • 1632 : délibération du Chapitre pour implorer les grâces de Dieu lors d’un pélerinage vu la sécheresse
  • 1640 : donation à la Congrégation des Frères de l’Oratoire qui installent des oratoires de 12 pans2 de haut pour guider les visiteurs
  • 1657 : Seuls les hommes sont admis à l’hôtellerie.
  • 1790 : destruction partielle ; la statue de la Vierge mutilée est descendue dans l’église de Mimet
  • 1693 : construction de la chapelle Le Paradis (accès par un sentier taillé dans la pierre) ; de nombreuses personnalités de l’époque y ont fait une retraite (cardinal Grimaldi, abbé du Chaine, M. de Grignan, abbé de Cabanes, François Piquet (évêque de Césarople),..
  • 1697 : les Pères de l’Oratoire acquièrent le domaine de Saint-Joseph (sur Mimet et Allauch)
  • 1719 : mort du Père Marrot
  • 1773 : accueil de quelques persécutés parisiens
  • 1795 : vente du domaine à deux marseillais Gaspard Coste et Pierre Bausset ; puis Olive et Jullien ; le Frère Sabatier relève quelques ruines puis s’enfuit avec l’argent des fidèles. La clé est confiée au propriétaire.

Le retour se fera par le sentier des pèlerins réparé par l’assemblée des communautés sise à Lambesc en 1657 : le seul sentier existant encore début XIXe. Pourvu qu’il soit encore entretenu… Il commence plutôt bien.

Les canadairs au dessus de nos têtes, s’entrainent en une large boucle, au largage de l’eau en prévision des incendies de l’été. L’aire de la Moure est faite pour ça. Au loin, on peut même voir la Bonne Mère à Marseille.

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L’aqueduc de Roquefavour après sa restauration


Partie de la plaine du cimetière à Ventabren, lieu de départ de nombreuses randonnées, j’ai décidé de dominer le majestueux aqueduc de Roquefavour qui alimente Marseille en eau, après 44 mois de travaux. Petite randonnée pour tester ma forme physique après plus d’un mois d’un virus épuisant.

Le premier parking se remplit ; les promeneurs de chiens sont déjà partis ; je rejoins la route D64 par une piste caillouteuse en descente, parmi les chardons et les cistes froissés ; après 250m de marche sur route sans trottoir, je tourne à gauche vers le parking du Rigouès, orthographié autrefois rigoès1.

Coquelicots et chardons mettent de bonne humeur ; la montée est régulière, sans difficulté ; il suffit de choisir la piste DFCI la plus directe si l’on est pressé. Juste avant d’atteindre l’oppidum de Roquefavour, je repère deux tiges de chèvrefeuille des Baléares reconnaissable à ses fleurs bicolores crème et rosé.

Improprement et encore aujourd’hui sur la carte IGN appelé Baou de Mario, il n’a pourtant rien à voir avec les romains : c’est un site celto-ligure datant du IIIe s. avant J.C.). L’accès principal se repère bien grâce aux vestiges de rempart (mur de 2.5 m à 3 m d’épaisseur) de chaque côté de la piste qui traverse l’oppidum de 5 ha ; les fouilles de J.-P. Musso entre 1975 et 1983 nous en apprennent plus. Musso Jean-Pierre. L’oppidum de Roquefavour à Ventabren (B.-du-Rh.) (recherches 1975-1983). In: Documents d’Archéologie Méridionale, vol. 8, 1985. pp. 67-86

L’oppidum de 5 ha est clos sur deux côtés par les falaises rocheuses au sud et à l’est, et sur les deux autres par des remparts et un fossé sec creusé dans le calcaire.
Une case isolée se trouve au sommet près de l’escarpement rocheux avec vue sur la vallée de l’Arc ; un foyer, une banquette, un édicule circulaire et peut-être l’emplacement d’une tour de guet.
Pas de trace de péripéties militaires ; les habitants sont partis de leur plein gré.

Après être passée devant les habitations d’une pièce (case) ou plusieurs (maison), je continue jusqu’à l’aqueduc de pierres haut de 83 m et long de 375 m ; la blancheur retrouvée des pierres, la même blancheur de la couverture du canal, le rendent encore plus spectaculaire. Et dire qu’on aurait pu ne jamais le voir si le projet concurrent avait été adopté au XIXe : celui de Bazin/Matheron (1832) proposait de percer un tunnel sous Venelles en suivant à peu près l’aqueduc romain de Traconnade ; mais c’est celui de Montricher (1836) qui a gagné.

L’aqueduc de Roquefavour, qui a résisté au tremblement de terre de 1909, vient d’etre restauré sur 44 mois ; les échafaudages étaient presque aussi hauts que ceux de Notre-Dame de Paris !

La SNCF signale en 2008 des pierres qui tombent sur la voie ; des opérations de purge avaient alors eu lieu. Les 160 000 pierres de taille ont été sondées au maillet et 2970 ont été changées. La Marseillaise, 18 mai 2024.
Le tablier supérieur ouvert à l’origine, busé dans les années 1970 a été étanchéifié avec une géomembrane et des dallettes en béton. Aujourd’hui François Botton, l’architecte du patrimoine, a préféré un béton fibré ultra-hautes performances (BFUP) : 470 dalles de 270 kg et 3 cm d’épaisseur servent à la fois de lest pour la géomembrane de protection et d’espace de circulation pour les engins lors des visites d’entretien. Et pour que les dalles s’apparentent en tous points aux blocs de calcaire, des essais de couleur ont été réalisées puis installées par un portique roulant : voir les photos dans Restauration de l’aqueduc de Roquefavour Infociments

Vidéo BFM TV

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