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** Du Contadour au vieux Redortiers, pays de Giono


Un village abandonné tel que je les aime ! on y sent l’âme des habitants, on y devine la sueur des travailleurs de la pierre, on évoque Giono et le Contadour, traditionnellement lieu de rassemblement où l’on comptait les moutons avant la transhumance (on pourrait l’écrire comptadour) ; pour cette boucle extraite du livre de Florence Dominique, 25 balades sur les chemins de la pierre sèche, éditions Bec en l’air, 2008, nous partons du Contadour, près du monument de la résistance. Vous pouvez aussi partir du lavoir (c’est le point géolocalisé) : ainsi, vous n’aurez pas de difficulté à trouver dans le village le sentier qui descend vers la rivière.

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Voir également par un autre itinéraire Le vieux Redortiers paru en 2016
Peut-on imaginer en voyant les ruines de Redortiers (alors en Dauphiné) que l’acte de fondation de l’abbaye de Lure y fut signé en 1160 ? que sous Louis XIV, 500 habitants y vivaient  dont « dix bourgeois, deux prêtres, un notaire, un chirurgien » ? qu’il y là avait une auberge et que l’église paroissiale était le siège de 7 confréries1 ? Le village n’a peut-être pas été déserté pour les raisons invoquées généralement : pauvreté du sol, difficulté de communication.

Le connétable Lesdiguières l’acquit en deux fois par moitié en 1604 puis en 1605, le transmit à un de ses héritiers, comte de Sault ; en 1703, Redortiers appartient au duc de Villeroy. Parmi les coutumes féodales :

  • la curieuse obligation pour les habitants de donner au seigneur la langue des boeufs qu’ils tuaient
  • l’habitant de Redortiers percevait le douzième des grains, blés et légumes que l’on comptait sur l’aire. Si dans les deux jours, le seigneur ne les avait pas fait compter, il avait le droit d’emporter ses grains sans payer de taxe
  • les habitants avaient également le privilège de pouvoir faire paître leurs troupeaux de brebis sur 8000 ha de pâturages et de bois
  • ils avaient le droit d’élever 15 porcs avec les glands des bois seigneuriaux sans payer de taxe
  • ils pouvaient également couper autant de bois qu’ils voulaient pour leurs besoins propres sans en abuser.

Jusqu’à la révolution, grâce à cette mise en commun des terres du seigneur, les habitants de Redortiers vivaient donc bien. Mais à la révolution, le duc de Villeroy est guillotiné ; les anciens vassaux de Redortiers sont dépouillés de la jouissance des pâturages et des bois. Les biens de l’ancien comté de Sault changent de propriétaires ; leurs héritiers veulent jouir de leurs biens en pleine propriété. Les gardes dressent des procès verbaux aux paysans qui font paitre leur troupeau, la commune se ruine en procès : la Cour de Cassation le 2 mars 1880 donne définitivement tort à la commune (Dictionnaire pratique des actions possessoires et du bornage. Tome 1, MM. Charles Archambault, René Senly, Chevalier-Marescq, Paris, 1890). Le village sans ressources est déserté peu à peu ; il devient hameau, redevient une colline pastorale. Selon La mort de Redortiers et l’une de ses causes, Jean Barruol , Annales des Basses-Alpes, n°143, Société scientifique et littéraire des Alpes-de-Haute-Provence, Digne, 1924

Direction le moulin à vent de Jean Giono, premier lieu d’habitation de l’auteur et de ses amis où naquirent textes, poèmes, croquis. Tel que Pierre Magnan (décédé le 28 avril 2012) le décrit (Pour saluer Giono, Denoël, 1993), il ne donnerait pas envie d’y vivre ! l’un des murs de l’enclos est pourvu de niches en arc exposées au sud ; après en avoir découvert de semblables ces derniers temps, je pense qu’il s’agit d’un mur à abeilles (lire les murs à abeilles de Provence dans randomania plus).

Passage près d’une cabane construite de pierres plates si fréquente dans le Contadour. Au sortir du bois, nous traversons l’immensité du plateau des Graves (1150m d’altitude) avant d’arriver à la seconde bâtisse qui accueillit Giono et les contadouriens. Son linteau est daté ‘1790’. C’est ici que Lucien Jacques (je l’ai évoqué dans l’article De Céreste à  Montjustin par les crêtes) viendra se réfugier dans la petite cabane à pièce unique juste à côté. Inscrite au monument historique, cette maison accueille des groupes pour des conférences ou lectures organisées par le Centre Jean Giono à Manosque.

A partir de là, nous n’avons que la description du livre et le sens de l’orientation d’estoublon. Nous longeons un mur de soutènement qui disparait parfois ; au carrefour avec un chemin menant à une habitation en ruine, nous tournons sur la droite. L’entrée dans le bois va se compliquer car le chemin disparait par manque d’entretien ; les branches sont parfois hostiles. Seul les vestiges du mur de soutènement d’un ancien chemin nous guide. Surtout ne prendre aucun sentier qui remonte. Bientôt, à peine visible, un balisage vert en descente raide nous mène dans le Ravin de la fontaine de la Croix que nous suivons tranquillement. Nous débouchons dans un vaste champ sur notre gauche où un chercheur de métaux s’affaire avec sa « poële à frire ». Curieux, nous l’interrogeons sur ce qu’il espère trouver. Habitué des lieux abandonnés, il est persuadé qu’il trouvera sans doute quelque pièce ancienne.

Le cimetière au pied du vieux village a été restauré par trois associations : les brèches du mur de pierres sèches ont été rebouchées, les piédroits de l’entrée consolidés, les tombes débroussaillées.

Nous montons maintenant jusqu’au vieux Redortiers abandonné depuis le début du XXè siècle ; un tas de bois amoncelé le long d’une ruelle, un seau au-dessus d’un puits, font croire que la vie n’est pas tout à fait arrêtée. Certaines ruelles sont encore caladées. On devine qu’une rue ceinture le village mais on ne peut en faire le tour sans risque. L’aire de battage, celle où l’on comptait autrefois les grains, a été partiellement restaurée.

Deux sentiers à l’est du village rejoignent le lavoir du vallon de la Riaille ; il recueille les eaux de quatre vallons ; la forme de la voûte décentrée, la couverture en lauzes, les aménagements extérieurs ont été restaurés comme à l’origine. Le chemin qui menait du village au lavoir était soutenu par un mur de pierres sèches.

Du château probablement construit par la famille de Simiane, il ne reste que la tour, datant du XIIè siècle. Une muraille devait protéger le château car des murs écroulés l’entourent. Le donjon, d’appareil régulier, penche légèrement. De plan carré, une porte en plein cintre donne sur le rez-de-chaussée avec une voûte en berceau en bon état.

Alors que nous pique-niquons près de la tour, le chasseur de métaux arrive fièrement vers nous : il a trouvé deux double-tournois dont un avec une face encore visible. Peut-être est-il à l’effigie de Louis XIII comme ceux qui ont été trouvés dans l’église Saint-Michel lors du chantier de restauration ? Cela prouve qu’il devait y avoir du commerce entre la vallée et le village.

Grâce au cuivre de Suède, le double tournoi fut fabriqué en quantités très importantes sous Henri III, Henri IV et Louis XIII. Il s’agit alors d’une petite monnaie […] qui présente au droit le nom, la titulature et le portrait du roi et, la plupart du temps, le millésime et une lettre désignant l’atelier de production. Le revers arbore au centre dans le champ trois fleurs de lys posées et indique la valeur Double tournois en français.

Le retour se fait par le très agréable GR de pays de la montagne de Lure. Il passe à côté d’un arbre tentaculaire puis traverse des champs de lavande. Après la traversée du plateau, c’est l’arrivée au Contadour ; l’église, datée du XVIIè siècle, dédiée à Saint Jean-Baptiste se dresse près du cimetière ; un gros arc à pilastres sépare la nef du chœur.

Redortiers inspira Giono pour son roman Regain, histoire d’un village déserté, Aubignane, qui renait grâce à la ténacité de ses derniers habitants. Lorsque Pagnol en fera un film, en 1937, il jugera le village trop dangereux et le reconstruira près de Marseille. Le résumé du roman Regain

Aubignane [Redortiers] est collé contre le tranchant du plateau comme un petit nid de guêpes ; et c’est vrai, c’est là qu’ils ne sont plus que trois. Sous le village la pente coule, sans herbes. Presque en bas, il y a un peu de terre molle et le poil raide d’une pauvre oseraie. Dessous, c’est un vallon étroit et un peu d’eau. Extrait de Regain

Itinéraire 10km280, 3h10 dépl. (4h15 au total), 180m dénivelée.
Avec la variante vers le lavoir ajouter 1km A/R, 30mn, 24m dénivelée
Possibilité de partir du lavoir (une ou deux places de parking chemin de l’Hurban)

1confrérie : elle répondait à ce que forment aujourd’hui les différentes branches de l’action catholique ; associations religieuses professionnelles regroupant des corps de métier ; des confréries dont le but est la piété et la bienfaisance ; les confréries de pénitents (société scientifique et littéraire des Alpes de Haute Provence, 1973)

©copyright randomania.fr

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4 réflexions au sujet de « ** Du Contadour au vieux Redortiers, pays de Giono »

  1. je suis retourné 2 fois au vieux village sans trouver le lavoir. impossible de le trouver à partir du livre « 5 balades littéraires à la rencontre de Giono ». A partir de la borne incendie rouge, en bas-du village où l’on peut garer la voiture, poursuivre le chemin de l’Hurban sur plusiurs centaine de m. En se fiant à google maps, le lavoir du valon de Riaille devrait se trouver à droite après un un sentier à droite visible sur la photo satellite de google maps. Je tenterai de le découvrir l’an prochain.
    [ndlr] en effet dans le livre, ce n’est pas bien expliqué ; depuis le sud du vieux village, il faut trouver le sentier qui descend en deux lacets puis en ligne droite pentue jusqu’à la route du lavoir. Sinon, pour ne pas le rater, faire le trajet à l’envers : à partir du parking, prendre la piste de droite à plat pendant 1km environ.

  2. Une des causes de l’abandon de ces villages fut la déforestation totale des pentes, qui entraîna une érosion des sols cultivables et des crues violentes en aval.
    Voir Giono « l’homme qui plantait des arbres ».
    Visiter le site de Chaudun près de Gap qui est un bon exemple de ce désastre écologique.

  3. Très beau panorama de Redortiers qui laisse ce que fut ce village. Bonne continuation. Yves un retraité qui a fait visite à quelques villages abandonnés en Corse.

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