La Couronne : vestiges militaires oubliés


Quand André regarde la carte IGN avec attention, et qu’il repère trois pentagones aux pointes hérissées, ça donne ce qui va suivre ; la dernière fois que nous avons vu ce symbole, il n’y avait rien sur le terrain mais là, l’indication en toutes lettres « vestiges militaires » ne laissent pas de doute. Entre les Plaines et les Chapats1 de la carte d’état-major, entre la voie ferrée et la voie rapide, nous les rejoignons à partir du parking du port des Tamaris, quasiment désert ; seuls des ouvriers travaillent à la réfection de la route.

La météo ce jour à martigues/13 :
Avec le vent et la température ressentie

Notre sentier est parallèle au chemin des Paluds2. Caillouteux, il me plait cependant car j’y trouve des pierres creusées d’élégants sillons, dissolution par l’eau d’une roche carbonatée. Les eaux de pluies se concentrent en dioxyde de carbone lorsqu’elles traversent l’atmosphère. Elles sont alors capables de dissoudre certains minéraux contenus dans les roches. ASP

Après le carrefour, nous suivons la route des Bastides avant de passer sur le pont au-dessus de la voie ferrée. Chemin des Roussures le long de la voie, j’aperçois sur le côté de la voie ferrée, intégré dans un muret, quatre modules assemblés en tunnel à section carrée avec une ouverture sur le côté ; grande discussion sur leur fonction ; finalement, c’est ma fille qui suggère l’entrée d’un tunnel permettant aux petits animaux de traverser la voie ; n’ayant pas pensé à ça, je n’ai pas cherché la sortie de l’autre côté pour vérifier.

Montée régulière un peu caillouteuse jusqu’à atteindre la voie rapide ; il faut tourner avant. Un groupe de randonneurs descend : nous attendons le dernier pour l’emprunter ; ça monte et ça devient caillouteux, très caillouteux. Au sommet, vue sur les monts Carpiagne et Puget au pied desquels on devine la mer. Et à droite quelques arbres brûlés qui ont vu passer un incendie.

Au loin ce qui pourrait être un mur sur un mamelon : André veut savoir ; variante : en mode sanglier dans une garrigue inhospitalière au dessus des arbres tombés ou brûlés, nous galérons jusqu’à ce que nous renoncions à 100 m du but. Dommage !

Car je penche plutôt pour une ancienne carrière à ciel ouvert d’un ha environ (symbole de U arrondi sur la carte IGN de 1950) car nous sommes incontestablement dans la bonne direction et sur un ancien accès… Ce n’est pas une carrière largement exploitée comme dans les carrières de pierre de La Couronne sur la côte, mais probablement a-t-elle pu servir à un usage personnel ou à former des apprentis.

En 1817 Nicolas Fouque, – dit Vigoureux comme son père Joseph et son frère Joseph – hérite de cette carrière et d’une autre proche (parcelles 2690 et 2691 feuille H la Couronne orientale, 1819) ; agriculteur, il ne travaille pas dans la pierre mais son ascendance remonte à Jean Fouque le Majeur, carrier connu depuis le milieu du XVIIe ; parmi les dizaines de Fouque à Martigues – un tiers des habitants porte ce nom en 1841 – souvent (re)mariés entre eux, se trouvent des carriers et des charretiers qui cotisent depuis longtemps à la Confrérie des traceurs. Certains ont même représenté la communauté de La Couronne.lorsqu’elle dut faire un emprunt pour la construction de l’église ou réclamer la nomination d’un prêtre. Les carrières de La Couronne de l’Antiquité à l’époque contemporaine. Inventaire des carrières de la Couronne

Nous retrouvons la piste ; au loin, dans la barre rocheuse, des abris sous roche et sur notre gauche un spectaculaire mur de soutènement. Nouvelle montée jusqu’aux vestiges militaires, faciles à trouver car dans une excavation circulaire repérable de loin.

Bien mystérieux vestiges non référencés et batterie jamais terminée. Sur le forum südwall au sujet de la Batterie les Plaines, les spécialistes échangent et supposent. Frédéric Safoy l’appelle batterie Les Bastides puisqu’elle se situe au nord de ce quartier et il pense que cet ouvrage sommaire a vraisemblablement été construit par le Génie Divisionnaire ou celui de la marine.

Non loin de Cavalas, située à l’intérieur des terres, dans une ancienne zone de carrières au nord de la voie ferrée à proximité des Bastides, se trouve une position non référencée dans les archives françaises et allemandes… Cette puissante position est l’oubliée de cette partie du Südwall ! Dans son inventaire officiel déposé au SHM, le capitaine de vaisseau Delpeuc’h ne la mentionne pas… Il ne peut en effet s’agir que d’un ouvrage réalisé dans l’urgence (pas de soutes à munitions, pas de casemates, pas d’abris à personnels) pour palier les retards de construction de Cavalas et/ou en renforcer la puissance.
Demeurent dans le béton les traces des fixations des pièces, dont le grand arc de cercle permettant le pointage en azimut. HISTORIQUE (1888 – 1945) DE LA DEFENSE DES COTES A MARTIGUES, Frédéric Safoy, Mairie de Martigues, 2007

Il y a 3 cuves bétonnées disposées parallèlement au rivage sur un axe ouest-est, de forme pentagonale dont la pointe est dans la direction de tir. Certains spécialistes du forum Südwall y voient une tourelle de char Pz II. Le réservoir situé en dessous date-t-il de la seconde guerre mondiale ?

Nous redescendons vers La Couronne en passant sur le pont de la voie ferrée ; décoré de deux épis de faitage en fonte, en forme d’ananas comme sur d’autres ponts de la ligne, il est encore pavé comme autrefois.

La montée de la Préfecture joint la ligne SNCF àl a route des Bastides ; dans ce hameau des Bastides (feuille H8 du cadastre napoléonien) presque tous les propriétaires s’appellent Fouque. Pas de préfecture à Martigues. Qui m’expliquera l’origine du nom de cette voie, sans doute attribuée au XIXe (les préfectures ont été créées à partir de1800) ?

Dès la voie ferrée traversée, nous sommes dans un quartier fortement urbanisé. Après les trois campings, André réussit à nous faire éviter la route en grimpant sur le talus au dessus du sentier du Four à chaux ; ensuite, nous suivons l’allée piétonne jusqu’à la célèbre chapelle de Sainte-Croix au bord de l’eau. Célèbre par sa légende des trois Maries.

D’après une tradition, juste après la mort du Christ, les palestiniens ont torturés les civils dont certains sont lâchés en pleine mer méditerranée dans une barque sans rame et sans voile. Une tempête les mènera jusqu’aux côtes de Sainte-Croix. A bord : Marie Jacobée, Marie Salomé, Sahra, Lazare, Marthe et Marie-Madeleine. Martigues tourisme

Un calvaire précède la chapelle. L’ancienne chapelle dont on aperçoit les ruines (XIIe) a été remplacée par une nouvelle à la façade blanche (XVIIe) ; elle rend hommage aux carriers du pays ; la paroisse de la Couronne possède une relique non négligeable : un fragment de la Vraie Croix du Christ.
Sur la plage de cette fin septembre, quelques baigneurs profitent des rayons du soleil. Le phare de la Couronne, rouge et blanc, ne passe pas inaperçu.

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La colline Saint-Jacques, Cavaillon


Seconde visite 18 ans après la première – La colline Saint-Jacques (septembre 2007) – sans jouer au geocaching, depuis un autre parking (celui du sentier promenade de Saint-Jacques), donc avec un oeil entièrement tourné sur ce qu’il y a à découvrir. J’ai donc décidé d’écrire un second article.

Nous partons en direction des baumes parmi lesquelles La Grande Baume dont la large entrée mène dans les profondeurs de la grotte ; je n’y ai pas trouvé mention d’une fouille attestant que nos ancêtres y vivaient dès la fin du néolithique ; c’est sans doute pour cela que le panneau mentionne La colline semble avoir été utilisée par nos ancêtres dès la fin du néolithique. Cependant, c’est probable puisqu’en 1935, tout proche, au pied du versant ouest de la colline Saint-Jacques (autrefois Cavéu), un matériel céramique souvent abondant, a été mis au jour s’échelonnant depuis le Premier Age du Fer jusqu’au Ile s. ap. J.-C. Oenochoes à anses torsadées de la Base vallée du rhône : une production tournée vauclusienne d’époque augustéenne, Philippe BORGARD, Dominique CARRU, SFECAG, Actes du Congrès d’Orange, 1988

Des aménagements (murets de pierre, citerne, alcôve) témoignent de leur réutilisation à l’époque moderne.

Après avoir contourné les grottes, nous atteignons les carrières du Roucas utilisées de l’Antiquité au Moyen-âge ; pour trouver des traces d’outils et de mode d’extraction, il faut grimper au dessus du sentier : des empreintes négatives d’extraction, des traces d’escoude. La roche est découpée longitudinalement par rapport à sa strate de sédimentation en fonction du sens dans lequel elle sera posée dans la construction, puis taillée sur le lieu de construction.

Petite hésitation sous le pylône à haute tension ; André opte pour la droite, mais c’est finalement à gauche sous le pylône ; quelques marches puis André me présente le pistachier-térébinthe aux baies rouges qui changent de couleur (blancs, roses, rouges puis bruns à maturité), aux feuilles caduques, qu’il perd donc chaque année. Un arbre de la garrigue plein de ressources puisqu’on utilise ses baies, sa résine et son bois.

L’essence de térébenthine lui emprunte son nom car elle était, à l’origine, fabriquée avec sa résine distillée. On l’emploie dans les peintures, vernis, cirages, produits pharmaceutiques… […] On peut les manger mais leur saveur est aigrelette. On les utilise plutôt pour produire une huile comestible. […] Son bois, excellent pour le chauffage, est aussi utilisé par les ébénistes pour réaliser de magnifiques ornementationsARBRE

En cette année Cezanne, je pense à un pistachier célèbre, celui de la cour de Château Noir (Le Tholonet), peint en 1900.

Ramené de Constantinople en 1834 et planté dans la cour du Château Noir, il a, vers 1850, servi à greffer avec succès de nombreux pistachiers térébinthes de la propriété. Un greffon a été implanté au Conservatoire des pistachiers de Provence, à La Ciotat. Un autre est parti pour le Jardin des Plantes à côté d’un célèbre pistachier mâle planté vers 1700. D’après Les fruitiers rares, article de 2003 par Françoise LABOREL et Lionel TREBIE.

Paul Cezanne, Pistachio Tree at Château Noir, France (Artist’s nationality), 1895–1905, medium : Watercolor with graphite on cream wove paper, laid down on tan wove paper, 54.2 × 43.3 cm (21 3/8 × 17 1/16 in.), Mr. and Mrs. Martin A. Ryerson Collection, Reference Number,1937.1030

Le laurier-tin à côté est toxique pour humains, chiens et chats, mais sa capacité d’absorption notamment des métaux lourds en fait un indicateur écolo de la qualité du sol.

La voie dite romaine me laisse presque aussi dubitative qu’en 2007 ; s’il y a voie romaine, ce n’est pas une grande voie de communication utilisée par les légions romaines, comme l’est la Via Domitia qui passait dans la plaine, traversait la Durance en radeau flottant à Cabellio (Cavaillon). Le géographe Strabon, dit qu’elle est excellente l’été mais toute fangeuse en hiver ; les Romains ont peut-être réaménagé cet axe Nord-Sud : les dernières fouilles (2016 ?) le laissent penser.

La principale caractéristique de cette occupation tient à la découverte de plusieurs vestiges antiques, dont un tronçon inédit de voirie antique, qui, à l’origine, desservait le côté nord de l’oppidum de la colline Saint-Jacques, […] et enfin, le long du chemin de Béraud, de deux sépultures à incinération du Ier siècle avant J.- C. Département du Vaucluse

Selon le document publié par les Archives municipales pour l’exposition ALLER & VENIR : ITINÉRAIRES & VOYAGEURS À CAVAILLON AU FIL DES SIÈCLES de fin 2024 : Des voies secondaires, notamment celles desservant l’oppidum, on ne conserve que peu de traces, hormis la voie nord-sud appelée encore aujourd’hui « voie romaine », quoique l’on en ignore […] la réelle datation. Peut-être s’agit-il de la voie secondaire Carpentras-Cavaillon représentée en page 13 par Marianne Salomon, De la via Heraclea à la via Domitia, Archéologie en Languedoc, n°20-2, 1996.

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** Le chemin des peintres à L’Estaque


Malgré les contraintes imposées – balade courte, ombragée, peu de dénivelée et cependant quelques centres d’intérêt, André a trouvé la bonne idée : le hameau de L’Estaque rattaché à Marseille 16e ; j’ai mixé deux tracés : celui de l’office du tourisme et celui bien documenté en vidéo des petites balades urbaines ; j’ai ajouté nos divagations. Dans l’air du temps puisque Aix fête Cezanne en 2025, nous y retrouverons le peintre. C’est le village des chichis fregis1 que l’on vient de loin pour la dégustation.

Estaque : du provençal estaco = attache, lien ; l’anse de L’Estaque est protégée du mistral par la chaîne de la Nerthe et des vents d’est par les collines de Mourepiane. Ce nom viendrait donc des nombreux pieux servant à l’amarrage dans le port. En 1718, des capitaines marseillais affirment que les bâtiments qui partent de cette ville et un grand nombre de ceux qui y arrivent sont mouillés avec plus d’assurance et moins de danger à l’endroit appelé L’Estaque qu’ils ne l’étaient autrefois à l’Aiguille et au Frioul. Gilbert Buti, MMSH-CNRS-TELEMMe

Revue Marseille, juillet 2024, Marseille et le Bassin de Séon, n°269

Comme annoncé, le point de départ est au bout de la digue ; les deux premiers panneaux nous rappellent l’importance de la pêche à la sardine, aux oursins dès le XVIIIe. Un énorme navire de croisière manoeuvre juste en face.

Nous revenons sur la rue du bord de mer en passant devant l’ancien hôtel de voyageurs Mistral (du nom d’un restaurateur Laurent Cyril Mistral). Il ferme en 1943, est racheté par Kuhlmann et aujourd’hui transformé en logements. Il garde d’époque un joli balcon en fer forgé qui se poursuit côté ouest, et des bandeaux de céramique sur sa façade. Derrière, on devine les jardins.

Le premier chalet-restaurant de 1860 est reconstruit en 1888-1890, après la création de la route, par un nouveau restaurant et de nouvelles cabines de bains. Il était situé en bordure de mer, en vis-à-vis de l’hôtel, avec appontements pour ceux qui arrivaient en bateau ! Une passerelle de bois les reliait par le premier étage et passait au-dessus de la route : elle attirait curieux et photographes. Photo IVR93_20111300091NUC2A, Degaye, Copyright (c) Ville de Marseille Bibliothèque Municipale à Vocation Régionale

Nous nous engageons dans la traverse Mistral, à la recherche du lotissement Druilhe. Un passage en chicane accède à la traverse du Lion – lion sculpté qu’André a trouvé lors d’une seconde visite – qui domine les courettes individuelles situées à l’arrière des maisons : nous avons donc une vue plongeante sur celles-ci et sur leur mur de clôture. Chaque courette possède un puits, commun avec celui du logement voisin, séparé en deux par le mur de clôture. Vu qu’il y avait là une ancienne tuilerie, nous ne nous étonnons pas de trouver des pans de murs de tuiles.

Sous-lotissement Druilhe, du lotissement concerté des Creux. En 1863, Victor Tamisier y construit une tuilerie qui est démolie en 1875. En 1887, le terrain est vendu à Julien Druilhe, lui aussi tuilier, qui entreprend de rentabiliser cette friche industrielle par la construction d’un lotissement locatif. Dossier inventaire