La route des rochers qui parlent dans les Hautes Terres de Provence


Voilà un concept de jeu qui mérite d’être essayé en famille. Il dure en général une journée entière, alterne petites balades (20mn maximum) et trajets en voiture (100km environ) autour d’une énigme thématique qu’il faut résoudre. De village en village, de site naturel en site naturel, nous avonçons jusqu’à la résolution complète de l’énigme. Cela se passe dans le nord des Alpes de Haute-Provence, du côté du Caire et sa fameuse via ferrata.

Office du tourisme intercommunal

IMG_0325.jpgNous partons pour une dizaine d’étapes, avec un livret contenant l’énigme ; il contient une puce électronique qui active un dispositif sonore au contact d’un rocher artificiel « qui parle » (et qu’il faut trouver) ; après l’écoute, une énigme doit être résolue : elle vous mène à l’étape suivante, parfois avec un indice en cours de route. Si vous craignez de ne pas trouver l’énigme, soyez rassuré, il est possible d’obtenir la solution en maintenant plus longuement la puce contre le rocher ! Le livret, qui se loue, ou s’achète 20€, ne sert qu’une fois. Chaque rocher peut délivrer également un conte, court et original avec une leçon de philosophie que seuls saisiront les adultes. Les textes sont soigneusement écrits, l’impression du livret est soignée et la qualité sonore excellente.

Pour s’imprégner de l’esprit du jeu, nous écoutons les réponses des premières énigmes puis nous nous lançons dans l’aventure… Nous avons choisi le thème de la sorcellerie auquel j’ai été sensibilisée lors de mon séjour en Guyane Française : partie avec la certitude qu’elle n’existait plus au XXème siècle, j’en suis revenue certaine du contraire, le jour où, en particulier, j’ai retrouvé un lézard éventré et percé de clous sur la porte de mon jardin. Cela m’a inspiré une histoire que je n’ai pas encore publiée…

IMG_0242r.jpgIMG_0250r.jpgL’histoire commence en 1260. Blanche, la fille d’un riche drapier de Sisteron, brusquement devenue aveugle, arrive au chateau du seigneur de Valavoire avec sa mère Marguerite. De village en village commence sa quête d’un guérisseur capable de lui faire recouvrer la vue.

IMG_1452r.JPGIMG_0258r.jpgLes sites que nous découvrons n’ont pas toujours de rapport direct avec l’histoire mais ceux-ci valaient le déplacement. Ainsi cette curiosité géologique appelée « le champignon » , à 0.4 lieue du premier rocher qui parle, et que nous aurons du mal à trouver à partir du tout petit plan schématique du livret. Sur la pente qui descend vers le Riou d’Entraix, nous trouverons d’autres vestiges de ces couches calcaires, bien différentes des terres noires qui nous entouraient tout à l’heure. Nous sommes en bordure de l’écaille de Valavoire, « unité tectonique chevauchante en forme de coin ou de lame et faiblement déplacée par rapport à un ensemble autochtone ou allochtone » (définition extraite du dictionnaire français Larousse).

Site géol-Alpes, Valavoire

IMG_0289r.jpgIMG_1470r.JPGL’énigme nous emmène dans un cimetière abandonné ; à Forest Lacour, ses clues, sa cascade et les rochers de la Lause ; aux confins des Hautes-Alpes, jusqu’à Turriers, à Vaumeilh et sa tour ruinée où les gens du coin sont ravis de voir passer des visiteurs. Mais je ne vous en dévoilerai pas plus. Allez-y !

pano_depuis_turriers.jpg

IMG_1522r.JPGVoici un exemple de plan pour se rendre à l’étape 2. Il est vrai que cette carte shématisée, bien que ne comportant pas le nom des communes, permet de vérifier facilement qu’on n’a pas fait d’erreur. Mais dans certains cas, il est si petit qu’il est quasiment impossible de se repérer sans une loupe !

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Ci contre, voici un exemple d’indice devant nous emmener vers le prochain village. Avez-vous trouvé ?

Certains indices écrits doivent être lus avec attention : aucun mot n’est inutile. Cela m’a valu une erreur de village et quelques allers et retours inutiles. Heureusement, nous avions photographié l’indice et une relecture attentive nous a permis de nous en sortir.
Au cours de son périple (et donc du nôtre), des faits et personnages historiques de l’époque médiévale nous sont présentés. L’histoire n’étant pas romancée, elle a une valeur pédagogique pour les enfants.

Hildegarde de Bingen, abbesse musicienne et visionnaire, consigne ses prédictions sur un parchemin. Sa réputation dépasse les frontières. Elle guérit par les plantes et enseigne aux nonnes la gravure, l’écriture, la reliure.

IMG_1459r.JPGNous avons pris plaisir à jouer toute la journée et sommes revenus bien fatigués alors qu’il n’y avait pas tant de marche que cela. Cette énigme est la neuvième, mieux pensée et moins facile que la 2 que nous avons résolue un mois plus tard. L’accès pédestre à certains sites n’est pas toujours  suffisamment sécurisée, pas forcément balisé mais toujours repérable par des panneaux spécifiques : moyennant quelques précautions, vos enfants vous suivront partout.

Emmenez une carte routière détaillée, une loupe, crayon et papier (ça vous évitera peut-être des prises de tête avec votre partenaire de jeu…) et le pique-nique : vous n’aurez aucun mal à trouver un coin de verdure. Ici c’est la campagne, le calme et des hébergements à prix raisonnables.  Nous avons terminé dans une chambre d’hôtes à Sigoyer, le Vieux Mûrier. Cet établissement a le label « handicapé », ce qui est suffisamment rare pour être signalé. Avec ses propriétaires, des conversations passionnantes ponctueront le repas qualifié à juste titre de ‘gastronomique’. Martine, l’hôtesse, me signale : « … il existe un sentier spécial accessible aux personnes handicapées qui […] passe par chez nous ».

Randonnées dans la région décrites dans ce blog :

L’aqueduc des sagnières à Clamensane
Le tour de la tête du pape à Gigors
Le vallon de la piche à Faucon

Le circuit des cabanons pointus – cabanoun pountchu – à Mane


Petite boucle à Mane proposée par estoublon, pour découvrir plusieurs cabanons pointus, constructions de pierre sèche le plus souvent à usage agricole ; en 1963, Pierre Martel en avait recensé une centaine entre Saint-Michel et Mane ; sans le savoir, je retrouverai ce circuit décrit dans le dernier livre acquis : 25 balades sur les chemins de la pierre sèche, Florence Dominiquele bec en l’air, 2009.

Curieusement, dans le même secteur, les constructions de pierre sèche sont repérées sur la carte IGN par quatre dénominations différentes : Cnon ou Cabanons, bories (terme à proscrire !), Cnes pour cabanes. Mais comment donc l’IGN met-il à jour les cartes et récupère-t-il la dénomination locale exacte ? Il consulte d’abord les glossaires établis par des érudits régionaux (ça explique le terme impropre de borie…) puis il fait des enquêtes sur le terrain (ça explique le terme de cabanons et cabanes), ce qui enrichit le dictionnaire. Enfin la commission de toponymie établit une liste des termes figurant dans des états justificatifs de noms dont la signification a été vérifiée dans des ouvrages récents (ça explique les graphies). Mais si ce fonctionnement explique les différents termes, il est étrange que ces termes soient si différents dans une zone géographique aussi petite !

La météo aujourd’hui à cet endroit
Avec la température ressentie

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Voici la carte de Cassini datant de 1778. Le barrage de la Laye n’existait pas, bien sûr ; la rivière s’appelait l’Aye devenue ultérieurement Laye signifiant bois, forêt dans le sud-est (selon le glossaire des termes dialectaux de Pégorier, IGN, 2006). Légende des cartes de Cassini

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IMG_0039.jpgLe premier cabanon est juste en face du parking. On accède au second par un sentier bordé d’un muret ; les pierres plates de la toiture (lauses) sont fortement inclinées.  Un chemin caladé réhabilité par les bénévoles de l’association Alpes de Lumière, nous mène au grand cabanon des Eyroussiers.

img_1115.jpgIMG_0042.jpgAvec ses 40m de circonférence, c’est certainement le plus vaste que l’on connaisse dans les environs. Sa construction est soignée : les pierres équarries de l’encadrement de l’entrée portent une feuillure intérieure contre laquelle venait buter une porte de bois. img_1116.jpgUne pierre au sol marque le seuil. Le linteau de bois était surmonté d’une corniche de protection. L’intrados1 de la voûte prend naissance au sol et s’incurve en douceur jusqu’à la cime. Un travail de pro et d’artiste !

img_1120.jpgDerrière le cabanon, un long et haut mur d’enceinte est couronné de lauzes en épi posées de chant, en oblique. Il stabilise le mur et dissuade animaux et maraudeurs de tentatives d’escalade ou de franchissement. Technique du couronnement, site pierreseche.chez-alice.fr

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img_1126.jpgTandis que mon compagnon de route cherche la cache des ‘cabanes du pays de Mane’ placée par estoublon, je suis attirée par un  assemblage en opus spicatum2 dans le bas du mur (2ème photo à gauche) : c’est la première fois que j’en vois un. Le mur a été relevé ultérieurement par des pierres posées en assise horizontale. L’angle du mur  a fait l’objet d’un certain soin avec des grosses pierres plates parallélépipédiques taillées à angle droit et dont on alterne les faces. Cette propriété privée est vouée à la pierre sèche : une curieuse statue de pierre trône même dans le jardin !

En pratique, le chaînage d’angle, site pierreseche.over-blog

IMG_0056.jpgA partir du calvaire (1876) dans le virage, petit aller et retour pour la Vue sur le barrage de la Laye, cache que nous n’avions pas trouvée la dernière fois. Nous improvisons la fin du parcours, évitant ainsi la départementale 950. Un cabanon en bien mauvais état se trouve à l’angle d’une prairie où les premiers moutons sont de sortie.

img_1136.jpgPremier visuel à émerger de la plaine environnante, la citadelle éblouit par sa carrure.

Mane, les cabanons pointus, site de la communauté de communes

Itinéraire du sentier des cabanons, 1h30, 3km500, 115m dénivelée

Ce circuit m’a procuré beaucoup de plaisir : ‘c’est du bon geocaching’, dirait Serge Robert ; si vous êtes intéressé par la pierre sèche, je ne peux que vous inciter à faire le circuit des *** bergeries du Contadour dans la montagne de Lure.

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intrados1 : profil apparent intérieur d’une voûte ou d’un arc
opus spicatum2 : appareil réalisé avec des pierres disposées obliquement sur la tranche et alternativement en épi

(définitions extraites du glossaire du livre 25 balades sur les chemins de la pierre sèche, D.Larcena et D. Lacaillele bec en l’air, 2008)

*** Les bergeries du Contadour


Les propriétaires des terrains situés autour du GR Tour de la montagne de Lure vous informent qu’à dater du 1/1/2020, le sentier n’est plus accessible au public jusqu’à la crête ; les bergeries du Contadour situées sur leur propriété ne peuvent plus se visiter. Les articles du blog restent en ligne pour vous informer uniquement sur le patrimoine.

img_0962.jpgA force de voir la même bergerie et ses arcs majestueux en pierre sur les dépliants publicitaires des Alpes de Haute Provence, j’ai eu envie de la voir en vrai. L’enquête sur internet n’a pas été facile. Je trouve d’abord son nom la bergerie des Fraches1 puis un descriptif de l’itinéraire que je tente de reporter sur mon logiciel de cartographie. Je ne retiens qu’une chose : pas de balisage, de grands risques de se perdre et ne pas trouver mais il semble que les choses aient changé depuis. Photos de Ti’Mars… et nicoulina

Grandes photos du site Mardis du Chalet

Le geocacheur gandalf13 y a placé un circuit Giono de 5 caches (réservées au premium member qui ont payé leur cotisation à Groundspeak, 30$ l’année), toute adoptées ou replacées par YvesProvence ; une excellente manière de découvrir cette région.

Nous sommes seuls sur le parking du gite de la Tinette (sept. 2011 : interdiction de stationner sur ce parking ; après renseignement auprès des propriétaires, stationnement accepté juste après le hangar au début du sentier mais une ou deux places seulement) dans le hameau de Contadour, commune de Redortiers. Un vent frais léger et une température de début de printemps nous accompagnent. Le sentier agricole longe des champs de lavande bien alignés. img_0970.jpgimg_0964.jpgLa balade débute par le GR bien balisé ; de nombreux arbres sont tombés en travers du chemin, sans doute écrasés par le poids de la neige ou abattus par le vent : à ma grande surprise, il y a encore des monticules de neige ça et là malgré le printemps qui est là depuis bientôt un mois.

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img_0966.jpgLa première bergerie de pierre sèche est à peine reconnaissable.

img_0975.jpgLe Jas des Terres du Roux, classé monument historique, a été restauré dans la img_0233.jpgplus pure tradition de la pierre sèche. L’abri de berger carré jouxte la bergerie : dans une petite niche à l’intérieur du mur, le berger pouvait stocker de la nourriture. Il y a même des traces d’enduit sur les murs et des trous qui devaient accueillir des poutres pour un plancher intermédiaire où l’on entreposait du fourrage. L’espace bergerie, long d’une quinzaine de mètres et compartimenté en 4 pièces, chacune couverte d’une coupole encorbellée repose sur des arcs en plein cintre un peu comme dans les églises ; IMG_0985.JPGla paille fraiche atteste qu’elle accueille toujours les moutons. La toiture de lauzes (larges dalles plates) est disposée de façon à rejeter les eaux de pluie et déborde largement en corniche : sous celle-ci, une gouttière recueillait les eaux de pluie et les conduisait dans la grande citerne à l’entrée.

Hommage à Jean Giono 1-1 Jas des Terres du Roux, par gandalf13

img_0972.jpgimg_0978.jpgimg_0979.jpgimg_0983.jpgIMG_0984.JPG

IMG_0991.JPGimg_0989.jpgLa suite du parcours est plus difficile à trouver ; plus de balisage et des chemins dans tous les sens. Non loin d’un carrefour, une bergerie tunnel tout en longueur (presque 20m !) avec une toiture en mauvais état nous semble cependant accueillante de l’intérieur. Il a fallu la construire avec un coffrage de bois que l’on déplaçait vers le fond au fur et à mesure de la construction. La citerne était alimentée par un impluvium, aujourd’hui raccordée au réseau d’eau. Un berger d’Oppédette Roland y revient pour abreuver son millier de moutons.

Nous sommes dans le lieu dit les Fraches mais ce n’est pas la bergerie que je recherche. img_0273.jpgUn peu plus loin, nous voyons des arcs qui dépassent du sol. Plus nous avançons, plus nous comprenons : la bergerie est enterrée et ses murs reposent contre des talus de terre. Des arcs-diaphragmes maçonnés sont disposés à intervalles réguliers et encastrés à leur base dans les parois latérales de la bergerie. « Ils supportaient une panne2 faîtière et des pannes de versant, constituant la charpente d’une toiture de tuiles canal […] à deux versants » (extrait de La bergerie des Fraches, site pierresèche.com). Les morceaux de tuiles jonchant l’intérieur de la bergerie me laissent supposer qu’elles se sont substituées aux lauzes originelles.

Si ces arcs [ndlr : jointés au mortier] sont encore debout malgré l’absence de charge, c’est sans doute parce que les forces exercées à leur base sont contrebalancées par la poussée des talus collatéraux. Comment construire un arc de décharge, blog pierre sèche

L’abri de berger est construit tout à côté mais n’a plus de toiture. La bergerie à arcs des Fraches est un très beau monument de pierre sèche, c’est celle que je recherchais : je l’ai découverte avec émotion, comme un cadeau qu’on a désiré bien longtemps.

Hommage à Jean Giono 1-2 bergerie en arc des Fraches, par gandalf13

img_1001.jpgimg_0998.jpgimg_0999.jpgimg_1006.jpg

cresus-film-2.jpgfilm-cresus-1.jpgAvant d’arriver sur le mont Sarran, nous passons à côté des la bergerie des agneaux, en bien mauvais état.

Hommage à jean Giono 1-3 le jas des agneaux, par gandalf13

La citerne a été rebouchée mais elle contient encore de l’eau. Des tôles ondulées et des tuiles canal au sol ont dû servir de toiture. Ce serait le lieu de tournage du film de Giono, Cresus, en 1960, dont le premier assistant était Costas Gavras. Mais quand on regarde le film, cela ne lui ressemble pas… Résumé du film

img_1023.jpgVous n’êtes pas ici dans une Provence de tutu panpan. Vous n’aurez pas de cyprès, pas de ciel vraiment bleu, pas de tambourinaires. Je vous donne l’aridité et le vent. Giono s’adressant à ses comédiens

Giono a fait neuf séjours sur le plateau de Contadour ; il y possédait une ferme dite le moulin de Giono ainsi que la ferme « Les Graves » qu’il avait achetée avec ses amis artistes. Il y a situé une partie de son oeuvre : Regain (le plateau parcouru par Gédémus et Artule), Deux cavaliers de l’Orage,… ; une séquence du film de Rappeneau (Le Hussard sur le toit) a été tournée sur la crête.
Balade littéraire du centre Jean Giono (à destination des élèves).
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