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La Nerthe et la chapelle saint-Michel


Un endroit que je n’aurais sûrement pas découvert sans l’aide d’André, dans le massif de la Nerthe1 entre étang de Berre et Côte Bleue. Déjà pour trouver le l’emplacement de parking le plus proche à Gignac la Nerthe, ce n’est pas évident. Nous stationnons près de l’autoroute du littoral, côté Gignac.
Nous passons sous l’autoroute par un pont largement taggué ; rapidement de hauts murs de pierre témoignent de la muraille de l’ancien château fortifié sur ce site de hauteur.

La Chapelle Saint-Michel (XIIè – XIIIè siècle) et les ruines du château sont édifiées sur une parcelle du territoire de la Commune du Rove qui en est propriétaire. Selon la commune du Rove

La chapelle Saint-Michel de Gignac se situe donc sur le territoire de la commune du Rove ; cette particularité vient d’un ancien partage du territoire : en 1835, Gignac a obtenu les terres agricoles tandis que le Rove a obtenu les collines et la chapelle (selon Michel Méténier, historien local) ; vous trouverez le vieux Gignac du début du XIXe sur le cadastre napoléonien du Rove, section C1, et ses riches propriétaires De Covet de Marignane et Barrigue de Montvalon.

La chapelle saint-Michel au Rove. Au Moyen Âge, le lieu faisait partie de la seigneurie de Marignane, qui s’étendait jusqu’à la mer. Les Templiers en prirent possession au xiie siècle, du fait de sa position stratégique qui les rendait maîtres de la plaine et des lieux de passages. Ils y édifièrent un château fort en éperon barré de remparts reliés de tours carrées. Extrait du site tourisme Marseille

Beaucoup de sites internet affirment que c’est un site templier ; d’après l’historien local, Michel Méténier, des moines templiers s’y seraient installés. Quatre granges2 existeraient autour de Fos (Berre, Saint-Giniez, Marignane et Gignac), d’après L. Dailliez, Les Templiers en Provence, Nice : Alpes-Méditerranée, 1977. Dans sa thèse d’histoire, Ordres militaires, croisades et sociétés méridionales : l’ordre du Temple dans la basse vallée du Rhône (1124-1312), Lyon, 2003Damien Carraz précise que l’inventaire de la commanderie de Fos du 24 janvier 1308, ne cite que le manse3 dit de Niolano ; la maison de Fos possédait de nombreux troupeaux et pâtures ; ce site fait-il partie des biens templiers au vieux Gignac comme l’affirme provence7.com ? d’après Dailliez et Carraz, à Gignac-la-Nerthe, il faut s’attendre à un entrepôt plutôt qu’à une chapelle…

Nous n’avons pu visiter la chapelle édifiée sur le rocher et fortifiée.  A ses abords, une citerne devait recueillir les eaux de pluie.

Sans doute construite dans le courant du XIIIè siècle la chapelle Saint-Michel nous offre un des tout premiers exemples d’art gothique. […]
L’intérieur de l’église à nef unique est composé de deux travées et d’un chœur de forme hexagonale.
Les voûtes en croisée d’ogive voient leurs nervures reposer sur des consoles dont l’une est décorée d’une tête humaine et l’autre d’un ange, dans lequel il nous sera permis de voir Saint-Michel. D’après le Rove, patrimoine

Nous rejoignons maintenant le plateau par une piste qui grimpe fort. Entourée d’une falaise sur trois côtés, l’éperon du camp de Laure est manifestement dédié à la chasse. André me désigne un arbre à la cime curieusement dégarnie, un cimeau4. La  chasse à la grive consiste à faire poser les oiseaux sur ces branches bien déterminées.
A côté, un poste à feu accueille le chasseur à l’affût. En principe, son exposition dans l’installation se trouve la face avant au nord ou à l’ouest pour que le soleil une fois levé ne vienne pas perturber la visibilité ; pour celui-là, ce n’était pas possible : il aurait tourné le dos aux arbres !
Les parois du poste à feu, sont percées de meurtrières de forme horizontale pour voir arriver les oiseaux et faire sortir l’extrémité du canon du fusil. Des appelants (grives en cage) sont disposés autour du poste à feu, au pied de chaque arbre de tir, afin que les grives de passage ou d’hivernage viennent se poser charmées par le chant de leurs congénères. La numérotation sur place permet peut-être au chasseur de repérer l’emplacement de sa cage et de sa place. Poste à feu – Mode de chasse à la grive

En évoquant la grive, je me rappelle une discussion avec mes copines de rando, qui, n’étant pas adeptes de la chasse aux grives, affirmaient que ‘faute de merles, on mange des grives’ ; il a fallu vérifier dans le dictionnaire.
‘Faute de grives, on mange des merles’ : faute de ce que l’on désire, il faut se contenter de ce que l’on a car la chair des grives serait plus fine et goûteuse que celle des merles. Je n’ai jamais goûté.
‘Soûl comme une grive’ par allusion à l’habitude qu’a la grive de se gorger de grains de raisin. Et quand on est soûl, on risque de se lâcher et d’être grivois (adjectif qui vient de grive)

Nous nous dirigeons vers le sud vers le camp de Laure, habitat retranché du néolithique, sur le dernier contrefort des collines de la Nerthe, envahi par la végétation. La muraille s’étendait sur plus de cent mètres de longueur sur deux mètres d’épaisseur mais n’est plus guère visible.

[…] les Préhistoriques qui l’ont occupé s’étaient retranchés dans sa partie presque inaccessible en élevant une muraille. […] L’industrie du silex est bien représentée ; les pointes de flèches sont relativement nombreuses, de types variés et d’un travail remarquable. […] Sur le plateau de Laure campaient des bergers, qui se livraient à la chasse, et ce fait expliquerait la prédominance des pointes de flèches. Extrait du Bulletin de la Société archéologique de Provence, Marius DALLONI, 1908-1914, consultable en mode texte, et en ligne sur le site http://gallica.bnf.fr/

Une colchique des près pousse encore sur le plateau. Nous traversons la plaine de Gignac dominant bientôt le Rove ; après une descente hors piste dans un sentier caillouteux, nous rejoignons le réservoir puis la crête que nous allons suivre dans un environnement de pitons calcaires et de garrigue rase : en plein soleil, avec bien peu d’ombre, je reconnais avoir souffert. Au loin Marseille avec le mont Saint-Cyr, le mont Puget jusqu’à Marseilleveyre.

Le pique-nique en contre-bas de la crête n’offre pas d’ombre non plus ; le vent emporte la cape qui aurait pu nous protéger du soleil. Tant pis ! le réconfort sera ailleurs.

Après le repas, nous remontons sur le chemin de crête, passant au point culminant de notre randonnée ; au loin côté nord, André me montre le cordon dunaire du Jaï.
Une construction en pierre et un petit cairn servent de repère au réseau géodésique de détail de l’IGN : ils matérialisent le sommet à 272 m d’altitude. A vous de trouver le troisième repère au sol : la borne de granit !

Enfin, une zone de verdure, quelques pins offrent un abri ombragé mais pas de chèvre aujourd’hui à la ferme près des ruines de la Vérune à un peu plus de 300 m à vol d’oiseau ;  entre ruines et hangar, la famille Gouirand fabrique des fromages – dont la célèbre brousse du Rove que j’adore – à partir des rustiques chèvres du Rove. Un peu plus loin dans le domaine de Cossimond, le cimentier Lafarge, au début du XXè siècle, y avait fait construire une colonie de vacances pour les enfants d’ouvriers.

Au retour, nous prendrons plutôt les vallons encaissés, dominés par une barre rocheuse parfois spectaculaire. La piste est plus agréable, moins caillouteuse. Aucune construction mais on peut deviner qu’autrefois étaient cultivés des oliviers, des arbres fruitiers car nous avons trouvé des pommiers ; la toponymie locale Pérussier évoque aussi les poires sauvages. Au début du XIXe, de nombreuses pâtures pour l’élevage, des terres en friche mais pas encore le puits du Sceau-Blanc, appelé Siou Blanc sur place, et qui, en 2009, avait encore de l’eau et son seau. Pratiquement toutes les parcelles de cette section Sceau-Blanc et repentance appartenaient à la famille Gouirand dont les descendants vivent toujours entre Gignac et le Rove. Joseph dit Nigaud, Pierre dit Frizat n’habitaient pas sur place et venaient donc travailler ici à pied.

Tranquillement, nous remontons sur le plateau de Laure d’où nous pouvons apercevoir la chapelle Saint-Michel que j’ai repérée tant de fois depuis l’autoroute sans jamais y être allée. Aujourd’hui c’est fait.

Une randonnée dans un coin sauvage et peu fréquenté, avec de larges points de vue de tout côté, à éviter sous les fortes chaleurs. Pour rendre visite aux chèvres du Rove, il est possible de partir du Rove ou, plus court, par la petite route sinueuse qui part des Pennes Mirabeau et rejoint l’Estaque (route des carrières Lafarge) dans la même direction que le tunnel souterrain du Rove.

Image de l’itinéraire 13 km (sans le détour pour le pique-nique et mes errances), 3h53 déplacement (6h10 au total), dénivelée 188m (+460, -460).
Télécharger la trace

1nerthe : le myrte (nerto en provençal) a donné son nom à la chaîne de la Nerthe
2grange : chaque commanderie établit une trame d’établissements annexes qualifiés de domus, grangia, mansus […] Dans les chartes des ordres militaires, cet ensemble de termes se réfère plus à un patrimoine bâti. Les commanderies modestes – Avignon, Fos… – ont implanté trois dépendances au maximum. D’après La territorialisation de la seigneurie monastique : les commanderies provençales du Temple (xiie-xiiie siècle), Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, Damien Carraz, 123-2, 2011, 443-460.
3manse : le manse est l’unité d’exploitation qui est institué à partir des Carolingiens. Il comprend la maison et ses dépendances, le jardin et la quantité de terre cultivable par famille (10 à 20 hectares). Selon le lexique du Moyen-âge
4cimeau : très vieux terme désignant une grosse branche dépouillée de ses feuilles, sur laquelle viennent percher des oiseaux, qui peuvent être tirés par les chasseurs à l’affût

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