Cinq formes de rochers, cinq curiosités : ondulations, monticules, meules de foin, cylindres, vasques. Balade insolite sur le territoire de Forcalquier et qui serait probablement peu rassurante sous les faibles rayons de la lune : des personnages ou animaux surgissent de tous côtés. Que voyez-vous à gauche ? un pingouin ?
Partis des Payans sur la D16, nous avons atteint les Mourres1 après une longue montée dans les vallons entre la campagne2 ‘les Souillons’ et ‘le Moulin’ ; le paysage est désertique, seules quelques touffes de végétation éparses poussent sur les flancs de la colline ; jusqu’à ce que nous apercevions le premier rocher en forme de champignon, nous doutions être sur la bonne voie. Dans un premier temps, nous montons vers le nord, passant sous les ponts naturels ou jetant un oeil à travers les rochers troués ; des cavaliers traversent le site et s’étonnent : du haut de leur monture, ils voient mieux que nous les chapeaux massifs de ces champignons géants, formés de petites couches entrecroisées, inclinées et fendues.
Découvrir la France par la géologie, François Michel, BRGM, quelques lignes sur les Mourres dont une photo avec légende traduite en anglais
Livret guide des 4èmes journées nationales du patrimoine géologiqué 2008 (ARCHIVE), à télécharger en bas de page (une page sur les Mourres, document pdf 4Mo)
Je ne saurai expliquer facilement comment ces rochers se sont formés : j’ai essayé de faire la synthèse de tous les documents rédigés sur le Net par des géologues. Grâce à Marie-Jo Soncini, géologue à la réserve Géologique de Haute-Provence, j’ai pu apporter quelques corrections à cet essai de vulgarisation scientifique. Stéphane Legal du parc du Lubéron, m’a fourni deux documents de recherche. Qu’ils en soient remerciés tous deux !
Notez bien que vous êtes devant une
rareté géologique !
En savoir plus, l’article la formation des Mourres sur randomania plus.
C’était à l’époque où la région était occupée par un lac marécageux (25 millions d’années, Oligocène supérieur).
- Phase de changement du niveau du lac3 : des îlots d’herbiers aquatiques dont la nature n’est pas encore identifiée, croissent en surface du plan de l’eau. « Si le niveau d’eau s’élève assez au-dessus de ces associations que l’on peut baptiser des herbiers, elles meurent, puis s’indurent. Croissent alors «sur leur dos» de nouveaux herbiers, et ainsi de suite, suivant les fluctuations du niveau d’eau »
- Les rochers grandissent rapidement verticalement ;
- puis l’ilot central se nécrose, ce qui favorise son envasement par une vase calcaire alors même que les végétaux croissent sur la périphérie et en hauteur, formant des structures annulaires ;
- consécutivement à l’envasement, le calcaire se fixe autour des végétaux, dans les zones profondes et au coeur des structures puis s’indurent progressivement.
Ce régime de sédimentation singulier a donc stabilisé et durci les masses calcaires mais à la différence des récifs de coraux, cela a dû se produire alors que l’herbier n’était plus vivant.
- Phase de baisse du niveau du lac4, l’eau se retire, les mouvements tectoniques, les pressions entrainent la déformation des strates à la périphérie du massif alpin ; le lac se redresse en oblique sous la poussée des Pyrénées puis des Alpes ; l’érosion décape les terrains argileux de préférence aux roches calcaires.
- Les jeux de l’érosion actuelle dégagent progressivement les rochers de ce site en entraînant vers le bas les marnes tendres de leur assise.
- Quand les eaux de ruissellement commencent à emporter la marne friable, l’érosion laisse émerger des rochers grisâtres (image 1),
- Quand l’érosion a enlevé complètement la marne, apparaissent des rochers de différentes formes, gris en haut sur du calcaire blanc plus tendre en bas (image 2),
- En dessous de la D12, enfin, quand l’assise blanche est érodée, le rocher gris qui était suspendu, se retrouve au sol (image 3).
Paléogenèse des Mourres, site des professeurs de SVT de l’académie d’Aix-Marseille, avec petite animation sur la formation des Mourres par les herbiers. En observant bien, vous reconnaitrez trois étapes successives de cette érosion :
Si j’ai été claire (hum…), vous aurez compris que ces rochers n’ont donc pas été sculptés par l’érosion (vents et pluies) comme cela était écrit dans mon premier guide sur les Alpes du Sud et comme c’est écrit encore sur quelques sites internet. Ils existaient déjà dans le sol et ont été dévoilés par l’érosion actuelle. Aux demoiselles coiffées, ils ne ressemblent que de loin.
« En bordure de cette assise, il est possible de trouver quelques fossiles du groupe de gastéropodes. Ces gastéropodes ainsi que des microfossiles de mammifères ont permis de dater les formations des Mourres, à savoir le Rupélien ». Extrait du site du groupe de la promotion 2003 de géologie à l’Université Inter-Ages du Dauphiné AlpesGeo, 2004
Réserve naturelle géologique du Lubéron, site du parc
Nous descendons maintenant dans la partie basse des Mourres ; plus de chemin, nous visitons au gré de nos envies de découvertes ; je reconnais le sentier à peine visible qui descend dans le ravin et mène au gite d’étape la Parise ; j’étais arrivée par là la première fois (voir Une autre randonnée aux Mourres au départ de Forcalquier) A l’aide du GPS nous rejoignons un sentier qui traverse des champs. Un cabanon pointu, en bon état, nous offre un accueil agréable avant la descente. Il devait sans doute abriter le berger de la bergerie d’Aymes (en ruine) un peu plus loin. La descente est rapide ; quand il n’y a plus de chemin, face à la barre rocheuse, nous longeons le champ, traversons à gué le ruisseau pour rejoindre le chemin par lequel nous sommes arrivés.
Pour ceux qui ne voudraient visiter que les Mourres, il y a possibilité de se rendre en voiture sur les lieux par la D12 direction Fontienne, Saint-Etienne les Orgues, et se garer sur le petit parking prévu.
Les mourres, vidéo de Carnets de rando, David Genestal
Les Mourres itinéraire des Payans aux Mourres par la bergerie 6km200 2h15 257m dénivelée
Rapport 2004 du Conservatoire des Etudes des Ecocystème de Provence (CEEP) – Alpes du Sud : il est prévu dans les années à venir quelques aménagements afin d’améliorer l’accueil des visiteurs tout en essayant de limiter les dégradations liées à la fréquentation. Merci à Lionel QUELIN, Responsable de ce pôle pour la bibliographie et la relecture.
Les principales informations (dont le schéma des différentes formes) sont extraites de Sedimentologie. Edifices calcaires liés à la stabilisation du sédiment par les biocénoses végétales dans les dépots continentaux oligocènes de Forcalquier (Alpes de Haute-Provence), Gigot Patrick, Freytet Pierre et Purser Bruce, C.R. Académie des Sciences de Paris, t 280, 10 mars 1975, série D, p1225 à 1228
Merci à l’office du tourisme de Forcalquier pour son accueil et la page d’information fournie.
2campagne : on trouve souvent ce terme sur les cartes IGN ; il désigne une plaine cultivable ouverte ; quant au terme camp, il désigne un espace de champs, plus grand que le clot
3 le terme de transgression ne convient pas en domaine continental : c’est l’envahissement des continents par la mer, dû à un affaissement des terres émergées ou à une élévation générale du niveau des mers
4 le terme de régression ne convient pas en domaine continental : c’est le retrait de la mer
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hello, toujours dans la marche et les balades, il vient de sortir un bouquin nommé les balades de la pierre sèche aux éditions du bec en l’air, à mon avis cela devrait vous intéresser grandement.
[ndlr] Merci pour cette référence. Je vais l’acquérir !
toujours très amusant de trouver à quoi peuvent bien ressembler des formes rocheuses tout comme l’éléphant de pierre ou l’indien du rocher de Roquebrune : chacun y va de son imagination !