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Vinon sur Verdon, les chemins de l’eau


Arrivés tôt sur la place du marché, pas de marché le samedi nous a assuré Daniel, nous attendons le groupe avec Yves Provence, sous les platanes plantés par la ville d’Arles ; sous ces arbres, autrefois les troupeaux transhumant venaient boire à la fontaine du Cours. Ebranlée par le bombardement de Vinon en août 1944, démolie juste après la guerre, elle est reconstruite, puis rénovée dans les années 1970/1980. Selon Eligune, les fontaines

Les photos de Vinon

En passant devant la boulangerie en bas de la grande rue, Daniel m’indique que c’était l’ancien moulin à farine mû par l’eau du Verdon ; autrefois il ne fonctionnait pas le samedi pour permettre l’arrosage. Il pouvait moudre une charge de farine en deux heures (120 kg).
Le campanile ou tour de l’horloge servait bien plus au XVIIIe que maintenant que tout le monde possède un téléphone portable.

La construction du clocher de Vinon […] débute en 1781 sous le consulat de Maximin Guis […]. En 1784 le Conseil de la commune commandite maître Pérard, horloger à Aix-en-Provence. […] Parallèlement, un bail au maître serrurier Jacques Fosse de la Verdière est établi le 14 août 1785 pour la construction du campanile.
Le 23 octobre 1785, Vinon achète une cloche d’occasion à l’église Saint-Zacharie de Marseille.

Dans le jardin d’une maison de la rue du puits, des boucs grimpent sur le muret et quémande quelque nourriture. Nous grimpons encore dans la montée de l’église qui passe devant l’imposante façade de Saint-Sauveur, ancienne église du château des Hospitaliers ; le presbytère à sa droite est si différent que l’on a du mal à y voir un ensemble architectural. C’est que l’église a été reconstruite au XIXe et plus récemment suite à un incendie.
De là haut, la vue sur la plaine, le Hameau, la forêt domaniale au nord de Vinon ; à gauche, la passerelle piétonne sur le Verdon, toute blanche, de 165 tonnes et 81 mètres de long, installée en novembre 2015 et qui constitue une alternative au pont sur le Verdon ; elle a coûté 1,5 M là où un vrai pont aurait coûté 10 fois plus. Les automobilistes auraient sans doute préféré un second vrai pont…

Dans le quartier de Vière, deuxième village après celui de la colline Saint-Pierre détruit, le panneau n°16 tente de nous faire imaginer la citadelle et le château des Hospitaliers grâce à quelques bouts de vieux murs restés après sa destruction programmée par le Parlement d’Aix en 1596.

Vinon sur Verdon, ZoZo78

Guerre de religion. Le parlement de Provence est scindé en deux : les ligueurs catholiques d’Aix, emmenés par le comte de Carcès, qui ne reconnaissent pas Henri de Navarre, et les royalistes avec la Valette qui installent leur QG à Riez. En 1591, La Valette voulant éviter que la ville d’Aix soit ravitaillée en blé par la Haute-Provence, fait fortifier le village de Vinon et barre les routes ; quelques années plus tard, le parlement d’Aix prend sa revanche en faisant détruire la forteresse de Vinon.

Autrefois premier bâtiment visible sur la route de Ginasservis, la Chapelle Saint-Nom de Jésus, entourée d’habitations, a bonne mine de l’extérieur ; elle ne sert plus qu’à l’occasion de la fête du saint nom de Jésus le 14 janvier. En 1789 le sieur Etienne Sias est tenu de payer 24 livres pour les tambourins et fifres qui sont venus pour la fête du Saint-Nom de Jésus.

La montée va commencer sur le chemin de Savéou, un chemin de galets typique de la zone Verdon-Durance ; à mi-chemin, un tronc d’arbre porte deux galets en forme de cœur. La première borne domaniale, la plus au nord, marque le début de la forêt de Vinon (nord et sud : 238 ha sur 4 cantons) représentée par un trait vert épais sur la carte IGN ; ces bornes vont se succéder autour des deux cantons, dont celui de l’Homme Mort où se pratiquent les activités cynégétiques et les sports nature ; j’apprends ce jour là que le dispositif homme mort est un système permettant le déclenchement automatique d’une alerte en cas d’absence de mouvements de la part d’une personne considérée comme « isolée ». Beaucoup de lieux portent ce nom ; il n’y a pas pu avoir un homme retrouvé mort à chaque fois. André suggère un orme mort, transcription mal comprise du géographe ?…
Une cabane de chasse est à peine masquée par deux arbres. De là haut, on mesure l’importance du projet ITER à Cadarache par les nombreuses grues et les imposants bâtiments.

ITER (de l’anglais : International Thermonuclear Experimental Reactor, signifiant en français : « réacteur thermonucléaire expérimental international ») est un projet de réacteur de recherche civil à fusion nucléaire […]. Le projet de recherche s’inscrit dans une démarche à long terme visant à l’industrialisation de la fusion nucléaire. Cette démarche prévoit de construire un second réacteur de recherche, DEMO, plus proche d’un réacteur de production, avant la phase industrielle. Le projet associe trente-cinq pays : ceux de l’Union européenne ainsi que l’Inde, le Japon, la Chine, la Russie, la Corée du Sud, les États-Unis et la Suisse.
[…] le budget du projet [est] passé de 5 à 19 milliards d’euros. D’après wikipedia, ITER

Descente dans les galets roulants. Je crois que je préfère la montée… Borne domaniale 37 puis en bas, après avoir suivi la route en file indienne, en plein virage, nous voilà obligés de traverser la route D554 : prudence ! Daniel est prêt à régler la circulation. En contre-bas, la vallée du ruisseau de Boutre et ses champs cultivés que nous longerons tout à l’heure. Au fond la ligne du Luberon.

Ça y est, nous sommes en bas, une seule maison : celle de Margin de l’autre côté du ruisseau. Un renard mort sur le bord du chemin. Enfin le pique-nique au soleil, sur le bord du chemin qui mène sur l’autre rive. A peine avons-nous terminé de déguster le rhum arrangé d’Yves que le temps fraîchit, le vent se lève annonciateur de la pluie promise par Météo France.

A un quart d’heure près, la météo est exacte ; il commence à pleuvoir finement mais régulièrement. La marche insensiblement s’accélère malgré les énormes flaques d’eau à éviter. A Châteauneuf (castrum novum),  territoire vieux de plus de 600 ans, mérite de garder son nom puisque la maison qui y est construite est neuve. Nous traversons rapidement le pont sur le ruisseau de Boutre, seul Yves prend le temps d’une photo du repère géodésique.

Les terroirs de Vinon et des alentours : rues, sites et lieux-dits, Joseph Piegay,  avec la participation des membres de l’Association d’histoire et archéologie de Vinon-sur-Verdon… ; ill., Alain Delorme, Vinon-sur-Verdon, 1996

Nous suivons la limite de Cadarache et Vinon pour laquelle les communes se sont disputées au Moyen-Age avant de trouver un accord en 1427 ; nous rejoignons la piste qui traverse la zone de plaine cultivée de la rive gauche du Verdon ; Daniel m’a promis un petit pont, romain peut-être, qu’il me désigne au loin mais la pluie et les 150 m à parcourir le long de champs fraîchement semés incitent à l’abandon. David me promet d’y retourner et de m’envoyer les photos. Il tiendra sa promesse pour mon plus grand plaisir.

Romain ce pont ? Certes, le domaine de Pèbre, à 2km600 à vol d’oiseau, sur la rive droite, est bien romain ; une superbe mosaïque exposée à Manosque, y a été découverte.
Si l’on a construit un ponceau étroit au dessus du canal, c’est qu’il y avait nécessité de le traverser pour se rendre du nord au sud ; aujourd’hui, on ne voit pas de chemin. J’ai ressorti les cartes anciennes (cadastre napoléonien 1830, Etat-Major 1860, IGN 1950) que j’ai superposées par transparence en prenant quelques points de repère supposés fixes. Après quelques manipulations (mise à l’échelle, orientation, report des chemins), je propose une explication : depuis 1823 le tracé de la grande draille n’a pratiquement pas changé : nous l’avons empruntée sans savoir que nous marchions sur les pas des bergers ; le canal d’irrigation du Grand Vallat, en 1860, se prolongeait en ligne droite jusqu’au Verdon. Sur la carte de 1950, il est modifié et oblique vers l’ouest ; ce pont permet de traverser cette branche détournée. Pourquoi ce changement d’orientation ?

Déjà au moyen-âge (1373) le Verdon qui a changé de lit, a saccagé des herbages et systèmes d’irrigation. Selon Au Moyen âge entre Durance et Verdon : histoire médiévale de Ginasservis, Gréoux, Saint-Julien-le-Montagnier, Vinon,…, Joseph Piégay, Résonnances, 2004. Son lit était autrefois beaucoup plus large et ses crues dévastatrices ; ce n’est qu’à la fin du XVIIIe que le Verdon a abandonné son lit au sud, laissant la possibilité d’assécher la plaine et de la défendre par des digues ; les archives municipales nous apprennent qu’au XIXe, ces digues ont été souvent emportées puis reconstruites à grand frais : inondations de 1857, 1868, 1882, 1884.

Et pourtant, le 16 octobre 1868, Victor Guis et le conseil municipal adressent au ministre de l’agriculture et des T.P. une lettre désespérée :
Monsieur le Ministre, la commune de Vinon vient d’être ravagée par une inondation du Verdon, qui, de mémoire d’homme n’a pas eu sa pareille. […]
Elles ont débordé dans le bas du village […] et submergé la plus grande partie de la plaine sur une largeur de 3 km. […] Un grand nombre de terres ont été emportées ou ravinées ou bien recouvertes d’un gravier ou d’un limon épais, rendant toute récolte impossible pendant plusieurs années. Haricots, pommes de terre, garance et autres produits qui étaient encore sur pied sont perdus. Les digues se sont affouillées en plusieurs endroits ; les brèches que ces affouillements ont produites sont telles qu’il est à redouter de nouveaux ravages. Depuis plusieurs années, de même que la commune, les habitants s’imposent de si lourds sacrifices pour l’endiguement de la rivière que […] la plupart se trouve dans la gêne, on pourrait dire la misère.

On peut donc supposer que le système d’irrigation a été à nouveau détruit dans sa partie la plus proche des berges du Verdon et que le syndicat des digues a décidé de dévier le canal. Sauf avis contraire d’un historien vinonnais bien informé, le ponceau ne daterait que de la fin du XIXe
David a trouvé, fiché dans le mur de tête aval du pont, un des cinq repères de nivellement du profil en long du Verdon, placé par le service de nivellement des Ponts et Chaussées en 1906 (I’C.U3-3) ;  cela a permis à l’administrateur de la base de données de corriger son emplacement sur la carte des repères de géodésie : en tant que citoyen, il a donc participé ainsi à une des grandes missions de l’IGN !
Au loin, la digue du Verdon bordée d’arbres ; de nombreux canaux d’irrigation sillonnent cette plaine. En me retournant, les grues d’ITER me choquent encore plus ; le village de Vinon est flou sous la pluie.

En quittant la grande draille des troupeaux d’Arles, nous ne sommes qu’à quelques pas de la fontaine vieille, à la fois source, lavoir, abreuvoir et fontaine !

La source, protégée par une voûte, jaillit au pied du village, juste à côté du lavoir.[…] Elle remplit d’abord les abreuvoirs et le vaste lavoir ainsi qu’un petit bassin [le lavoir aux herbes], avant de servir à l’irrigation des jardins en contrebas. Il [le lavoir aux herbes] servait à laver tout ce qui pouvait salir l’eau du lavoir principal, réservé au linge : les légumes et les plantes mais aussi les outils, les tonneaux ou les entrailles d’animaux… D’après la Fontaine Vieille, site Eligune

Une petite randonnée facile dont l’intérêt réside dans la visite du village et la présence de panneaux d’information installés par la commune. Pourquoi les chemins de l’eau ? canaux d’irrigation, ruisseau de Boutre, rivière Verdon, fontaines, canal de Provence (même si on ne l’a pas vu), y a-t-il assez d’eau ? et encore je ne cite pas la pluie !
Merci à Daniel et David pour leur contribution.

Image de l’itinéraire 11km355, 3h déplacement (4h35 au total), 156 m dénivelée (+240, -240)

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