La grotte du Tonneau, La Bouilladisse


Souvenez-vous, nous n’étions pas loin lors de la visite des deux oppida de Belcodène mais, fatigués et ne disposant que d’une demie-journée, nous avions préféré remettre la visite de la grotte du Tonneau à une autre date. Située en paroi et orientée sud, sur la rive droite du ravin du Tonneau, à l’extrémité occidentale de l’anticlinal du Regagnas, nous ne pouvions l’apercevoir depuis l’extrémité ouest de l’oppidum du Tonneau.

Nous sommes partis de Belcodène, un parking près de l’autoroute, sur la D908 qui mène à Peynier. Nous suivons le GRP Sentier Provence mines d’énergie, balisé. Nous traversons la partie sud de l’ancienne ferme du Château qui appartenait au marquis de Cabre en 1830. Une ruine grosssièrement ronde nous laisse bien sceptique : elle ne figure pas sur le cadastre napoléonien de 1830 (B3 section Le Château) ni sur la carte IGN de 1950 mais se situe au coin d’une propriété ; soit c’est une construction postérieure, soit c’est la borne cadastrale n°26 que l’on voit sur le plan de 1830 ; serait-ce l’ancienne limite des diocèses d’Aix et Marseille au moyen-âge ? Nous n’avons pas vraiment cherché une inscription ou un indice.

Les églises de Saint-Pierre et de Saint-Jacques de Bulcodinis et leur bourg, qui furent d’ancienneté la limite entre les deux diocèses, dépendront alternativement, une année sur deux, de l’un puis de l’autre diocèse.

1255, Arbitrage du pape Alexandre IV (cité par le site bolcodenis.free.fr)

Site bien documenté sur Belcodène (archives, classement selon plusieurs critères)

Un peu plus loin, le long de l’ancien chemin de Peynier à Marseille, un mur en pierre sèche, délimitait la propriété ; derrière autrefois des vignes et pâtures.

Nous quittons la piste pour un sentier plein sud, bien marqué. A l’approche de la falaise, à partir d’une petite esplanade dégagée, le sentier vire à gauche vers l’oppidum, mais il ne faut pas le suivre mais passer dans la brèche devant vous pour passer sur l’autre versant côté La Bouilladisse (une carcasse de voiture à gauche) où le sentier sera ardu, rocheux, avec de la végétation parfois envahissante.

La descente vers la grotte commence. Un cairn peu visible matérialise le carrefour où il faut obliquer à gauche. Les maisons du quartier des Battiers sont à portée de marche. Nous mettons les mains, parfois les fessiers, mais avec prudence, nous arrivons en vue de la grotte.

La grotte du Tonneau, que l’on reconnait bien grâce à la forme oblongue de son entrée, se rapproche. Arrivés au pied de la falaise, nous cherchons par où escalader les blocs de rochers ; André commence l’escalade, tandis que je cherche un meilleur passage : en vain ; je me résous à le suivre, l’ultime rocher, lisse et bombé, me donne du fil à retordre.

Point de vue en hauteur idéal depuis la plate-forme devant l’entrée. On se croyait au bout de nos peines. L’accès à la grotte, surélevée de plus d’un mètre de hauteur, semblait facile mais un seul point d’ancrage étroit pour le pied et rien pour les mains car la paroi est patinée. Après quelques minutes d’intense réflexion, sur une bonne idée d’André, je me retourne, par le seul appui du pied gauche je me hisse sur la partie plane, me recroqueville, tourne buste et jambes vers l’intérieur, et descend dans la grotte.

[Cette grotte] fut découverte en 1895 par Isidore Fontanarava et Nicomede Long, mineurs à La Bouilladisse […]. Elle possède à l’intérieur un couloir d’une vingtaine de mètres et au bout de celui-ci un aven de 8 mètres de profondeur où furent trouvés des silex, ossements, poteries, javelots… qui ont permis de déterminer que cette grotte date de la période paléolithique inférieur et servait d’habitation et de sépulture. Ces vestiges sont conservés au Palais Longchamp à Marseille.

France Bleu, 19 juin 2020, mon petit coin de paradis

Je sors ma lampe de poche ; le couloir sableux est large, ventilé, sans difficulté, jusqu’à la première marmite creusée au sol, pas très profonde ; mais c’est une succession de marmites qui conduisent à l’aven. Ah ! si j’avais une planche de bois pour passer au-dessus… mais ce n’est pas important, l’aven étant presque complétement comblé selon Gérin-Ricard qui l’a fouillé.

Le remplissage de cet aven est essentiellement constitué par des couches de sables jaunâtres qui alternent avec des niveaux d’argile plastique brun rouge. […]. Il correspond à un climat où alternent les périodes sèches avec phénomènes éoliens intenses (transports de sables par le vent) et les périodes humides (transports d’argiles colluviées). Epoque : Wurmien II.
La faune relativement abondante comprend : Rhinoceros sp. , Equus caballus [cheval], Cervus elaphus [cerf élaphe], Cervus capreolus [chevreuil]
Capra ibex [bouquetin], Bos primigenius [auroch, originaire d’Afrique]
Sus scrofa [sanglier], Hyaena crocuta spelaea [hyène des cavernes]
Castor fiber [castor d’Europe], Oryctolagus cuniculus [lapin de Garenne], Testudo [tortue Hermann]

La forte proportion des racloirs1 à dos aminci permet de le rapprocher du « Moustérien de type Ferrassie oriental » bien représenté à la Baume de Peyrards, et à la Baume Bonne à la fin du Wurmien II. [Vers 45 000 ans].

Le Paléolithique inférieur et moyen du midi méditerranéen dans son cadre géologique, Henry de Lumley-Woodyear, Gallia préhistoire, 1969

Sortie de la grotte par un goulet étroit à droite de l’entrée en rampant sur le dos : tout le monde ne passera pas mais pour ceux qui passent c’est plus facile ! Après avoir longé la paroi rocheuse, nous repérons une marque de balisage qui nous permet de redescendre sans trop de difficultés au niveau du sentier.

Plusieurs petits sentiers proposent une variante à la piste. Retournez-vous, si vous ne l’avez pas vu à l’aller, le mont du Marseillais à 5km800 à vol d’oiseau, est reconnaissable à son antenne.

Image de l’itinéraire 4km600, dénivelée 37m (+63, -63), 2h20 aller-retour. Possibilité de coupler avec la boucle des oppida de Belcodène pour une journée complète

1 racloir désigne un outil de pierre taillée réalisée en retouchant le bord d’un éclat de façon à le régulariser. Cet outil apparaît particulièrement typique du Moustérien, industrie de l’Homme de Néandertal pour racler les peaux de bêtes

L’aqueduc de Roquefavour après sa restauration


Partie de la plaine du cimetière à Ventabren, lieu de départ de nombreuses randonnées, j’ai décidé de dominer le majestueux aqueduc de Roquefavour qui alimente Marseille en eau, après 44 mois de travaux. Petite randonnée pour tester ma forme physique après plus d’un mois d’un virus épuisant.

Le premier parking se remplit ; les promeneurs de chiens sont déjà partis ; je rejoins la route D64 par une piste caillouteuse en descente, parmi les chardons et les cistes froissés ; après 250m de marche sur route sans trottoir, je tourne à gauche vers le parking du Rigouès, orthographié autrefois rigoès1.

Coquelicots et chardons mettent de bonne humeur ; la montée est régulière, sans difficulté ; il suffit de choisir la piste DFCI la plus directe si l’on est pressé. Juste avant d’atteindre l’oppidum de Roquefavour, je repère deux tiges de chèvrefeuille des Baléares reconnaissable à ses fleurs bicolores crème et rosé.

Improprement et encore aujourd’hui sur la carte IGN appelé Baou de Mario, il n’a pourtant rien à voir avec les romains : c’est un site celto-ligure datant du IIIe s. avant J.C.). L’accès principal se repère bien grâce aux vestiges de rempart (mur de 2.5 m à 3 m d’épaisseur) de chaque côté de la piste qui traverse l’oppidum de 5 ha ; les fouilles de J.-P. Musso entre 1975 et 1983 nous en apprennent plus. Musso Jean-Pierre. L’oppidum de Roquefavour à Ventabren (B.-du-Rh.) (recherches 1975-1983). In: Documents d’Archéologie Méridionale, vol. 8, 1985. pp. 67-86

L’oppidum de 5 ha est clos sur deux côtés par les falaises rocheuses au sud et à l’est, et sur les deux autres par des remparts et un fossé sec creusé dans le calcaire.
Une case isolée se trouve au sommet près de l’escarpement rocheux avec vue sur la vallée de l’Arc ; un foyer, une banquette, un édicule circulaire et peut-être l’emplacement d’une tour de guet.
Pas de trace de péripéties militaires ; les habitants sont partis de leur plein gré.

Après être passée devant les habitations d’une pièce (case) ou plusieurs (maison), je continue jusqu’à l’aqueduc de pierres haut de 83 m et long de 375 m ; la blancheur retrouvée des pierres, la même blancheur de la couverture du canal, le rendent encore plus spectaculaire. Et dire qu’on aurait pu ne jamais le voir si le projet concurrent avait été adopté au XIXe : celui de Bazin/Matheron (1832) proposait de percer un tunnel sous Venelles en suivant à peu près l’aqueduc romain de Traconnade ; mais c’est celui de Montricher (1836) qui a gagné.

L’aqueduc de Roquefavour, qui a résisté au tremblement de terre de 1909, vient d’etre restauré sur 44 mois ; les échafaudages étaient presque aussi hauts que ceux de Notre-Dame de Paris !

La SNCF signale en 2008 des pierres qui tombent sur la voie ; des opérations de purge avaient alors eu lieu. Les 160 000 pierres de taille ont été sondées au maillet et 2970 ont été changées. La Marseillaise, 18 mai 2024.
Le tablier supérieur ouvert à l’origine, busé dans les années 1970 a été étanchéifié avec une géomembrane et des dallettes en béton. Aujourd’hui François Botton, l’architecte du patrimoine, a préféré un béton fibré ultra-hautes performances (BFUP) : 470 dalles de 270 kg et 3 cm d’épaisseur servent à la fois de lest pour la géomembrane de protection et d’espace de circulation pour les engins lors des visites d’entretien. Et pour que les dalles s’apparentent en tous points aux blocs de calcaire, des essais de couleur ont été réalisées puis installées par un portique roulant : voir les photos dans Restauration de l’aqueduc de Roquefavour Infociments

Vidéo BFM TV

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Dans les pas d’Hendrick Sturm sur le plateau de l’Arbois


J’ai hésité à publier cet hommage à Hendrik Sturm, artiste marcheur à l’origine du GR2013 interurbain, qui vivait à Marseille depuis 1994. Etait-ce un parcours intéressant pour les lecteurs de randomania ? Pour ceux qui ne connaissent pas le plateau, assurément, car il révèle la réalité d’un paysage inter-urbain qui n’est pas toujours naturel, loin de là…
Alors que, inquiètes, Anne et moi cherchions à le contacter depuis des mois, nous avons appris par le journal d’investigation Marsactu qu’il était décédé le 15 août dernier. Le rencontrer à nouveau au travers de cette marche organisée par le bureau des guides du GR2013, était une évidence.

Pause commentée (par nos guides). Nous sommes une bonne cinquantaine au rendez-vous, nous réchauffant par un café sur l’esplanade de la gare encore sous les brumes grises du matin ; nous y retrouvons Gérard, et sa femme Marité qui est l’auteur de presque toutes les photos ; merci à elle. Morceaux choisis, pas forcément issus des discours de nos guides parfois longs ou trop conceptuels lorsqu’on attend dans le froid…

Originaire de Düsseldorf, après avoir mené de front une formation aux Beaux-Arts et une thèse en neurobiologie (thèse sur les signaux bioélectriques liés à la contraction du poignet chez l’homme), Hendrik Sturm enseignait à l’école des Beaux-Arts de Toulon.

Je ne marche pas comme le fou voyageur, je ne recherche pas l’épuisement, même si ça peut arriver. […] Dans mon cas, la marche est aussi une méthode d’étude. Je la pratique moins comme pratique spirituelle que comme outil de découverte, méthodologie d’enquête – lecture de traces. Hendrick Sturm

Bureau des guides du GR2013

Il a beaucoup cherché et trouvé de nombreuses traces, dont celle du camp de transit des forces américaines, la Delta Staging Area, installé à Calas, Saint-Victoret et Aix entre fin 1944 et début 1946. Nous allons en repérer quelques unes.

En partant de la gare TGV, nous avons commencé par le côté sombre de l’Arbois : les lieux de rencontres cachées, les déchets un peu partout.

Pause commentée. Arrêt chez Télédiffusion De France, opérateur d’infrastructure du secteur numérique et audiovisuel ; c’est dernière la grille, les barbelés, la vidéosurveillance d’aujourd’hui, que les pylônes des principaux émetteurs de radiodiffusion en modulation d’amplitude, sur les ondes moyennes, ont été installés avant la seconde guerre mondiale ; le gouvernement français décide, fin 1941, d’y ajouter deux centres ondes courtes en zone libre au Réal-Tort (textuellement ruisseau tordu), dont les travaux débutent l’année suivante.

Avant la ligne TGV, dans un champ de toiles d’araignée, l’une d’elle attire mon attention ; accrochée à la végétation avec une forme bizarre, un peu comme la coque d’un bateau surmontée d’une voile ; j’ai l’impression d’une araignée rare car c’est la première fois que je vois une toile de cette forme. Qui saurait me renseigner ?

Nous passons au-dessus de la ligne TGV, direction la Bastide Neuve, une vaste propriété agricole, qu’Anne connait bien : elle a échangé avec Hendrick ses documents de recherche. Pause commentée. Elle nous présente la maison à deux étages (construite avant 1668), le puits, le four, la grande bergerie pouvant accueillir plus de 500 moutons, les nombreux propriétaires en indivision qui finissent par vendre. Elle nous montre le tableau au fusain qui prouve qu’au début du XXe siècle, elle était toujours debout mais… le camp américain n’est pas loin.

En une journée, ils [les soldats américains] ont dévoré tout le raisin de nos vignes. […] Pour se chauffer, ils ont pris les poutres de la grande bergerie puis de la maison. C’est ainsi que les bâtiments se sont écroulés.

Chronique d’une bastide (auteur : bricor)

De là nous coupons la route de Tokyo qui traverse le camp américain du nord au sud sous une ligne à haute tension qui avait été prolongée pour les besoins du camp. On peut encore voir des dalles de béton, dont certaines supports des tentes des GI’s. Pause. L’équipe du bureau des Guides a extirpé d’un sac quelques reliques américaines : bouteilles, plaque d’identification (dog-tag). Puis le GR2013 utilise quelques raidillons avant de passer au pied du centre d’enfouissement des déchets de la ville, déchets qui parfois, s’échappant avec le vent, constellent le paysage.

Nous arrivons au niveau d’un vallon sans nom mais facilement reconnaissable à partir des photos d’époque ; il s’agit d’un théâtre en plein air, probablement le Leslie J. McNair Memorial Theatre, plus de 10000 places, des gradins de bois installés de chaque côté ; des ingénieurs du son avaient sélectionné ce vallon pour sa qualité accoustique. Un chien de chasse nous a précédés ; au loin, des chasseurs observent la longue file de randonneurs descendant avec précaution dans le vallon. Plus question de chasser pour l’instant…

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