J‘étais déjà allée à la chapelle Saint-Pierre située au sommet d’une colline (552 m), en partant du village de Rians à l’est ; cette fois, je pars de la chapelle Saint-Estève située à l’ouest, à la frontière avec Jouques.
Le cadre de la chapelle Saint-Estève1 est désormais aménagé pour les pique-niques avec quelques places de parking ; bien avant la christianisation, a été retrouvé puis perdu un autel dédié aux déesses-mères Gerudiatae : Matribus Gerudatiabus, Julia Minia v(otum) s(olvit) l(ibens) m(eritis). D’après le corpus inscriptionum latinarum XII, 505 et Ralph Haeussler, Pouvoir et religion dans un paysage gallo-romain : les cités d’Apt et d’Aix-en Provence. Romanisation et épigraphie, Lattes, 2001. Traversant les frondaisons, les rayons du soleil mettent en valeur la pierre jaune. Eloignée du village, d’architecture romane, avec une nef et une abside semi-circulaire, elle daterait du XIIè siècle ; la porte est couverte d’un larmier mouluré. Il s’agit d’une ancienne possession templière dont on ne sait à qui elle a été attribuée quand les templiers ont été arrêtés. Le notaire Barthélémy de Vaurelhas y était passé en 1308 lorsqu’il faisait l’inventaire des biens de la commanderie d’Aix.
C’est ainsi qu’on les [les membres chargés de faire l’inventaire des biens templiers] voit successivement à Saint-Estève du Val de Rians où l’ordre possède une petite exploitation rurale, puis à Rians où, à la suite d’une criée publique, quelques tenanciers font acte de présence.[…] Une fois la dévolution faite, les hospitaliers, […] ont procédé à une fusion des biens du Temple avec les leurs ; […] les granges de la Galinière et de Saint-Étienne du Val de Rians, [sont] absentes du procès-verbal. Dans le premier cas il s’agit sans doute d’un oubli ou de l’utilisation d’une autre désignation […]. Quant à l’autre, certes plus petite [saint-Estève], on ne sait ce qu’il en est advenu. La fin des Templiers en Provence : l’exemple de la viguerie d’Aix, Benoît Bocage, Provence historique, 1999
Direction la ferme de la Grande Bastide ; les moutons qui ont déjà chaud, se sont regroupés sous les arbres au fond du pré. Je reconnais sur la gauche un pont typique du XIXè appartenant à l’ancien canal du Verdon. Cette route est classée ‘sentier d’exploitation’, voie privée rurale dont l’usage est commun à tous les riverains.
L’oratoire Saint-Fiacre est placé à l’entrée du chemin qui mène à cette ferme de la Grande Bastide ; gravées sous la statue, les dates probables de sa mort et de son décès : 610-670. Dans le premier temps de sa fondation, Fiacre accueille les pèlerins de passage ; durant la seconde étape, Faron accorde à Fiacre la quantité de terre et de bois qu’il sera capable de délimiter, tout autour de sa maison, par un fossé creusé de sa propre main en une journée de travail. Le saint se met en prière, puis marche en traînant derrière lui son bâton qui creuse le sol d’un sillon large et profond tandis que s’abattent de part et d’autre les arbres qu’il touche. C’est le patron des jardiniers, guérisseur des hémorroïdes, chancres et cancers. D’après Fiacre (saint) wikipedia
La ferme de la Grande Bastide est localisée sur la carte de Cassini (voir ci-contre) ; curieusement j’ai d’abord confondu avec l’autre Grande Bastide à Rians, près de la route de Ginasservis, (celle-là ne figure pas sous cette domination en 1778), dont on parle aujourd’hui encore parce qu’elle est à l’origine d’un projet d’habitat participatif :
Le principe ? Se mettre à plusieurs pour concevoir et financer son logement en y intégrant des valeurs telles que la solidarité, le respect de l’environnement, le partage ou encore la mixité sociale. Extrait du site de notre projet.
Je ne verrai pas la ferme elle-même ; sur le chemin DFCI de Saint-Pierre qui n’est plus revêtu, je passe une barrière basse ; d’après le cadastre actuel, le passage semble possible par ce chemin, ou du moins est-il toléré pour les piétons (impossible de joindre le propriétaire par téléphone pour le vérifier) ; je longe les champs puis traverse les bois. Une grande échelle est posée contre un arbre pour accéder à un poste d’observation. Les champs jaunis ont souffert de la sécheresse. Progressivement j’entre dans les bois, de plus en plus denses, mais qui gardent quelques témoignages d’une vie autrefois active : un abreuvoir, des ruines assez importantes à côté de la cote 458, sur le versant nord de la colline saint-Pierre. Puis une clairière, une zone de coupe de bois peut-être, contraste avec les bois sombres ; 500 m plus loin, je rejoins une belle piste à mi-hauteur de la colline Saint-Pierre sur laquelle je me sens plus rassurée. Cette traversée est plutôt… sauvage.
Bientôt apparait au loin la chapelle Saint-Pierre, cyclope à l’œil inexpressif. La piste est large et tranquille, jusqu’au moment où le bruit d’un animal lourd dans les feuillages me fait sursauter : sans l’avoir vu, je cours aussi vite que je peux. Quand on marche seule, chaque bruit a tendance à vous faire plus peur que quand on est en groupe… Je repère deux bornes domaniales dont l’une porte encore la trace d’un balisage jaune. Un cairn planté d’un bâton de bois annonce le chemin qui monte vers la chapelle ; courage ! la pente très redressée, donc rude à monter, avec des passages glissants dans la terre et de hautes marches à franchir, débouche à l’est des ruines !
Au pied de la chapelle Saint-Pierre, un haut mur imposant (13m de long) apparaît ; mêmes interrogations qu’en 2014 et pas de réponse. Dans mon précédent article, j’avais rapporté les propos de l’office du tourisme, inspiré sans doute de ceux de Michel Lamy dans Les templiers : ces grands seigneurs aux blancs manteaux, Aubéron, 1994 :
Est-ce un hasard si la tradition veut que la chapelle Saint-Pierre de Rians possède une cache abritant des archives templières de première importance ?
Tous les documents d’historiens ou spécialistes des Templiers que j’ai consultés n’en parlent pas ; peut-être une confusion avec la commanderie Saint-Pierre de Brauch à La Verdière, dans le canton de Rians ?
Autour, les restes d’un habitat. Un point de vue exceptionnel de tous côtés : au nord, sur le Luberon, la montagne de Vautubière, à l’est sur le mont Major et la montagne d’Artigues, au sud sur le versant nord de la Sainte-Victoire à peine reconnaissable.
Je décide de changer mon programme pour ne pas redescendre ce que j’ai eu tant de mal à monter tout à l’heure ; je marche sur la crête rocheuse qui ondule comme la colonne vertébrale d’un long reptile : je marche sur ses vertèbres ; de temps en temps, des lapiaz encore peu profonds ; le sentier descend doucement ; le balisage est bon, même lorsqu’il faut quitter la crête durant quelque temps ; attention ! prendre ensuite sur la droite, peu visible, un sentier en descente tandis que celui des crêtes se poursuit sur la gauche, à altitude à peu près constante. Il est parfois chaotique mais moins risqué que celui de l’aller. Le seul endroit où il faut faire attention c’est quand les racines d’un arbre accroché au chemin sont apparentes dans une pente ravinée. Je recroise la piste de Saint-Pierre que je parcours une seconde fois avec plaisir.
La descente dans le vallon de la Louvière est facile, rocailleuse, avec des buis et même des pins : on sent que la civilisation n’est pas loin ; le calcaire rouge plutôt rare dans la région ressemble à celui des gorges de l’Infernet ; le chemin privé qui mène à la bastide de la Louvière, ancien et important domaine agricole, est si évident que je m’y suis involontairement engoufrée mais il se termine dans un jardin qu’il faut donc longer sur le côté droit pour atteindre la route ; il est mieux d’obliquer à droite 400 m avant, en direction du parking de la Bourgède (voir carte IGN).
Changement de décor ; dans la plaine, le sentier va maintenant courir le long des champs ou des vignes en terrain plat. Juste après la Louvière, il passe à droite d’une maison, si proche du jardinet, que je me retrouve presque à table avec les propriétaires qui me rassurent : je peux passer par là ! Pas de balisage mais c’est relativement facile à suivre. Un ouvrage de l’ancien canal du Verdon s’est écroulé au niveau du nouveau pont. Après quelques zigzags, le sentier rejoint la départementale qui relie Jouques à Rians et qu’il faut suivre malheureusement sur 300 m (on peut éventuellement monter sur le talus de la propriété de l’Olivière).
Devant le château de Vignelaure, réputé pour ses vins, je jette un œil à travers le portail : deux statues longilignes font une haie d’honneur aux visiteurs. Situé en altitude (320 m environ), son vignoble couvre plus de 60 ha planté sur un sol argilo-calcaire caillouteux : Cabernet Sauvignon, Syrah, Grenache, Cinsault, Carignan et Merlot. Le célèbre critique américain Parker en dit beaucoup de bien mais je n’ai pas encore goûté. La route macadamisée est maintenant peu fréquentée ; les vignes sont à gauche, plantées de temps en temps d’arbustes aux fleurs roses.
En jetant un coup d’œil côté droit, en hauteur pendant un court instant, vous verrez le pont-aqueduc suspendu de Saint-Bacchi. Construit en 1968, il permet au canal de franchir la vallée du ruisseau de Saint-Bacchi et relie les galeries de Rognes et Saint-Estève situées sur la branche de Bimont. Les suspensions de l’ouvrage devraient être remplacées en 2017. D’après le rapport d’activités 2014 de la société du canal de Provence
Une randonnée sauvage pour laquelle le GPS me semble indispensable. En option, si vous avez le pied sûr, vous pouvez raccourcir le parcours en redescendant de la chapelle Saint-Pierre par le même trajet qu’à l’aller côté sud.
Image de l’itinéraire 12km400, 3h15 déplacement seul (4h au total), 235 m dénivelée (+353m, -353m)
Image de l’itinéraire avec contournement de la propriété privée la Louvière
1Estève : nom occitan d’Etienne
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ça à l’air d’être une super balade à tester 🙂 avez vous un tracé gps ?