Le groupe des aixois se retrouve aujourd’hui pour une randonnée au pied du village de caractère de Lurs pour admirer les tulipes précoces qui ont déjà fait l’objet de plusieurs reportages. Elles ne durent qu’un temps, alors j’ai proposé une randonnée incluant cette découverte. Nous stationnons sur le parking au bout du village et déjà, alors que nous enfilons nos chaussures, majolir achète son pain et vegalyre propose d’emblée de prendre un café avant de partir ; notre attroupement incite le bistrotier à ouvrir ; son établissement offre un belvédère sur la vallée de la Durance et les oliviers, sous un ciel tourmenté aujourd’hui ; ce paysage préservé fait l’objet d’une protection de niveau national en tant que site ‘pittoresque’, c’est à dire digne d’être peint.
Quelques minutes plus tard, pleins d’énergie, nous partons pour une visite guidée du cœur du village grâce à deux d’entre nous qui le connaissent déjà : le début du chemin des évêques ponctué de 15 oratoires (1866) – Lurs fut résidence des évêques de Sisteron jusqu’en 1789 – et une partie du chemin des écritures issu d’une proposition des Rencontres Internationales de Lure. En passant devant l’affiche du moulin Masse, Claude nous signale La cascade de Monessargues sur le Lauzon près de Lurs (04) [qui] anime le plus vieux moulin à huile actif du pays depuis 1674. Son occupant refuse l’Appellation d’Origine Contrôlée pour pouvoir garder l’usage de meules en pierre, de scourtins et d’un pressoir à chapelle. Selon Les oliviers de Provence, Claude. Le détour n’est pas prévu aujourd’hui.
L’album photos de Pied d’Aulun
Au sol, le fil d’Arthur : un balisage en grosses lettres incitant à les suivre et formant un mot : BLEU ou ROUGE. C’est vegalyre qui la première a décodé la séquence, terminée par le signe ‘infini’ sur fond sombre.
Au fil des étroites ruelles, nous passons sous les portes du village, notant que la cloche du portail marque toujours les heures ; rehaussé en 1861, il est doté d’une horloge et d’un campanile en forme de cloche. Sous une arche abritée, le banc des fainéants attendaient les journaliers qui souhaitaient être embauchés pour la journée par les agriculteurs.
L’ancien château épiscopal bâti sur les vestiges d’une forteresse carolingienne, a été maintes fois remanié : il reste près du chemin des évêques la tour ronde du XIIIe qui raccordait le château à son enceinte. Depuis la rue du Barri, la vue s’étend sur les prés où des moutons s’éparpillent donnant l’impression d’un tissu vert à points blancs ; un pigeonnier au pied du village et quelques maisons isolées près desquelles nous passerons au retour.
L’amphithéâtre Marius en plein air (1960), avec ses gradins de pierre, invite au spectacle l’été ; il a été édifié à l’emplacement de ruines ayant appartenu à un certain… Marius.
Dans la sculpture d’Albert Chassagnard, la main de l’artiste en marbre de Carrare, je vois plutôt la petite main protectrice posée sur la tête plutôt que la grande main aux doigts repliés mais l’ensemble donne une impression de sérénité.
La chapelle des Pénitents (XVIIe) a conservé un beau porche avec fronton à volutes.
Nous nous étonnons du nom de baptême de l’église Invention de la Sainte-Croix en raison d’un reliquaire contenant un morceau de la vraie croix ramenée de Terre Sainte par Pierre de Sabran à l’issue d’une croisade.
En 1563, l’évêque de Sisteron, prieur et seigneur du lieu de Lurs, fait exécuter des travaux dans l’église. En 1683 ce n’est plus l’évêque mais la communauté qui prend en charge les travaux. En 1853-1854, ce sont d’importants et surprenants travaux qui vont avoir lieu.
Pour raison esthétique, la voûte de l’église devait être exhaussée ; le conseil de fabrique manquant d’argent s’oriente alors vers une autre solution qu’il pense moins coûteuse en temps et en argent : abaisser le niveau du sol. Joseph Mondet, maçon providentiel, propose de s’en occuper pour un prix modique ; il déblaie toute l’église à 1m30 de profondeur dont une partie de rocher, fournit les carreaux, le sable et la chaux. Il reprend les six piliers et les dix pilastres, s’occupe du dallage, replace les autels, la chaire, les fonds baptismaux qu’on a dû changer de place, ajoute cinq marches à l’entrée et le tout pour 652 Fr ; là où les autres demandaient entre 1500 et 4000 Fr. Et je ne vous parle pas des aléas consécutifs à ces travaux : le retable trop haut, la petite porte de l’église convertie en placard, etc. D’après Le patrimoine religieux de la Haute-Provence : le patrimoine de Lurs, Bulletin de l’association pour l’étude et la sauvegarde du patrimoine religieux n°21, 1998
Quel dommage que certains fils électriques détonnent dans ce décor moyenâgeux si agréable…
Passant devant l’oratoire Sainte-Madeleine, vegalyre nous entraîne sur le chemin des écritures en direction du cimetière : comme nous sommes peu nombreux, on peut déambuler au gré des envies de chacun. Nous passons devant la table de Vox (Conception : Sterenn Bourgeois), classification des caractères en fonction des liens qui les unissent ; elle regroupe neuf familles fondamentales : les humanes, les garaldes, les réales, les didones, les mécanes, les linéales, les incises, les scriptes et les manuaires. Ces familles définissent à leur tour des « types de transition ».
Vox n’était pas seulement typographe mais aussi dessinateur et écrivain : en 1926, il dessine le célèbre logo de la collection de romans policiers Le Masque, les lettrines du Grand Larousse du XXe siècle ; il présente et annote en 1943 la Correspondance de Napoléon, six cents lettres de travail (1806-1810). Selon wikipedia
A l’origine de cette association Les rencontres internationales de Lure en 1952, quatre amis qui se retrouveront chaque été à Lurs : Maximilien Vox, Jean Giono, Jean Garcia et Robert Ranc. Pour découvrir l’écriture latine et la typographie, est créé en 2010, le chemin des écritures composé de cinq installations originales en plein air et en accès libre toute l’année.
La bibliothèque (Conception : Jean-Yves Quellet) regroupe les différents supports de l’écriture : ardoise, plaque de bois, pierre, terre cuite,… Nous n’avons pas le temps de nous attarder sur l’installation qui raconte la naissance de l’écriture. Comme il est impossible de rejoindre le chemin des oliviers à partir du cimetière, nous retournons vers la place au monument aux morts. Télécharger le guide visite.
Les cinq randonneurs présents n’ont pas remarqué les couvertines (Conception : Laurence Durandau et Franck Jalleau), devant la Chancellerie […]. Ce sont des anagrammes de mots courants, qui ont leur signification pour les typographes. Il faudra donc y retourner.
La route des oliviers est en descente raide et sens unique ; veillez à bien rester sur le côté car une voiture qui monte a peu de chance de s’arrêter car elle ne pourra peut-être pas repartir. Au loin, les champs multicolores vont nous servir de repère. Nous pénétrons sur un sentier entre deux champs d’oliviers, traversons la D12 entre l’Hôpital où l’on a trouvé des tuiles romaines, et la Fortune, là où passait la via Domitia autrefois. Au niveau du domaine Hypolite, les voitures se sont arrêtées n’importe où le long de la route.
Sur une pancarte délavée, Luc Boissière, l’horticulteur, demande aux promeneurs de respecter ses cultures ; nous voilà au bord d’un immense champ de tulipes de toutes les couleurs : jaune, rose, trois sortes de rouge, du bicolore, du blanc, et même le violet foncé de la ‘tulipe noire’ (symbole d’un amour intense, mais qui se vit dans la souffrance. L’être aimé peut être loin ou décédé). C’est le même producteur que l’an dernier (voir l’article dans ce blog champ de tulipes) mais les champs ne sont pas au même endroit. Nous décidons d’en faire le tour par le sentier d’exploitation qui l’entoure, boueux par endroit car il a plu abondamment les jours précédents. Les champs ondulent avec grâce pour le plaisir des yeux.
Entretien avec le propriétaire de ‘Haute Provence plein champs’ : il produit en gros des bulbes de tulipes précoces pour la Hollande ; lorsque les fleurs sont arrivées à maturité, elles sont coupées et alimentent le marché des grandes surfaces régionales. Lorsque les feuilles sont sèches, les bulbes sont assez gros pour être récoltés et exportés. Après une année en Haute-Provence, ils peuvent s’acclimater à des régions plus froides que la nôtre.
Le domaine Hypolite fut autrefois une villa romaine de 2400 m2. La photo aérienne permet de voir deux corps de bâtiment de chaque côté d’une longue cour : un bâtiment allongé et un portique carré ; peut-être aussi un grand bassin ornemental de forme ronde. La chapelle Notre Dame des Anges se trouve entre deux villas romaines : Hypolite et Grand Tatet. Selon L’habitat rural dans la Provence Antique : villa, vicus et mansio. Etudes de cas, Philippe Leveau, Revue archéologique de Narbonnaise Année 2002 35 pp. 59-92
Sur fond de montagnes, pour le déjeuner, nous nous installons contre le talus, face aux tulipes. Fière de sa surprise, Majo sort une bouteille de crémant dont elle avait confié le transport à Claude : bon anniversaire Marie ! Après le café, et la liqueur de pêches qui ne concurrence pas le rhum arrangé d’Yves, nous rejoignons la petite route qui entoure les champs ; il est probable que nous aurions pu poursuivre le chemin d’exploitation qui la rejoint un peu plus loin vers le sud.
Aulun, le seul toponyme dérivé du premier village de Lurs : Alaunium que l’on retrouve dans l’appellation ancienne de la chapelle romane Notre Dame des Anges : Sainte-Marie-de Olonio. Une pierre gravée incorporée aujourd’hui dans le mur nord de la chapelle, témoigne de ce culte à la divinité Alaunius.
Alaunium, ancien relais routier, fut détruite par les barbares au Ve siècle. Le site fut dès lors abandonné par ses habitants, qui fondèrent Lurs sur la colline.
Dans une large courbe qui domine les champs de tulipes, nous entrons dans un petit bois puis sur des sentiers d’exploitation ; impossible d’identifier la culture de ce champ (ci-contre à droite photo vegalyre qui pense à des pivoines) : pas de botaniste parmi nous. Nous sommes seuls dans ce hameau de campagne où seules subsistent quelques maisons éparses. Nous longeons un grillage avant d’arriver le long de la propriété Baudin : aucun panneau ne l’interdit et de plus, j’ai vérifié sur le projet du conseil local de concertation chargé des sentiers ; ne sortez par l’accès privé des propriétaires, mais longez l’enclos des chevaux et descendez sur la route un peu plus loin.
Route peu fréquentée qui passe au pied du hameau puis remonte vers les Roumejas. Nous retrouvons le carrefour où nous avons bifurqué tout à l’heure ; là deux solutions : reprendre en partie le même trajet qu’à l’aller puis rejoindre le sentier qui mène au pont romain, ou viser Lurs par la Grande Bastide et la montée raide de la route des Oliviers. Nous prendrons la seconde ; Majo s’en souviendra…
Au loin, nous apercevons tous des formes cylindriques dans le domaine de la Grande Bastide (trois ‘Grande Bastide’ dans le coin…) dont on ne sait si ce sont des arbres taillés ou des colonnes ; il va falloir aller sur place pour constater que ce sont des colonnes parfois recouvertes de lierre. Servaient-elles à délimiter une grande allée menant à la bastide du XVIIe ? d’après le tenancier du café, ce serait des colonnes romaines réemployées – il y a tant de vestiges romains au pied de Lurs !
Au carrefour suivant, une colonne cannelée d’imitation romaine porte une croix de mission qui n’est pas d’origine : elle a été refaite par Amayenc, de Peyruis vers 1955. Selon Le patrimoine religieux de la Haute-Provence : le patrimoine de Lurs, Bulletin de l’association pour l’étude et la sauvegarde du patrimoine religieux n°21, 1998. Scandale ! elle supporte un pylône électrique ! mais ce n’est qu’une illusion d’optique. Sur le piédestal est gravé : Mission de Lurs 18 mars 1900 La population reconnaissante
Les croix de mission ont été nombreuses après la tourmente révolutionnaire ; pour une mission, dans un diocèse, on a recours à des missionnaires dont la tâche était d’aller dans les paroisses et œuvrer pour que les habitants repartent d’un bon pied dans la vie chrétienne ; la mission se terminait par l’érection d’une croix, dite croix de mission.
La dernière montée est rude mais avec vegalyre, la bonne humeur est assurée ; nous sommes contraints de faire une pause sous les oliviers ; le choix que nous avons fait en fin de rando n’était pas le plus facile : remonter les 112 dernières mètres de dénivelée, c’est plus doux sur une distance plus longue… La file s’étire ; Claude arrive le premier. Lorsque je vois en levant les yeux le mur de pierre bâti sur le rocher, je sais que je suis presque arrivée. Et que ferons-nous en arrivant ? nous irons boire un pot au bistrot de pays. Mais c’était mérité.
Image de notre itinéraire Pied d’Aulun : 12km230 3h40 déplacement (5h40 au total), 182 m dénivelée (+364, -364). Inclut la visite du village et la variante vers Notre Dame des Anges.
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Itinéraire conseillé Pied d’Aulun 2 : 9km500, 162 m dénivelée (+258, -258) incluant la variante vers les champs de tulipes tracé ocre ; ajouter la visite du village.
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Un itinéraire champêtre peu connu que j’ai beaucoup apprécié, avec passages sur routes revêtues très tranquilles et sentiers d’exploitation : la campagne avec les champs de tulipes annonciateurs du printemps. A noter : la difficulté de la remontée au village en fin de randonnée.
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