Jouques : point de vue aérien sur le défilé de Mirabeau


Tout commence par le GR9 le long de la nationale 96. Raide et glissant, parfois protégé du vide par un maigre grillage il nous mène à un premier replat d’où nous apercevons les profondes entailles qui ont été nécessaires pour construire le tunnel de l’autoroute.

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[Le tunnel] est précédé d’une profonde tranchée, taillée à vif, dans des couches de calcaire relevées à la verticale, d’une largeur de 160 à 200 m au sommet et d’une profondeur de 50 à 70 m et ses rebords, en escaliers cyclopéens protégés par des treillis métalliques.

Le sentier se poursuit dans un sous-bois désolé et désert. L’épave d’une camionnette gît, abandonnée, au bas d’une pente : voilà qui intéresse le chasseur d’épaves qui m’accompagne et qui a déjà repéré quelques détails d’époque. Oui on peut en faire des photos artistiques (galerie photos de Epaves en liberté). Nous longeons un grand champ de lavande. Nous sommes proches de la ferme de La Daouste et de la zone de pâturage de 30 hectares sur laquelle paissent des chèvres Alpines chamoisées et des Saanen qui en profitent pour débroussailler les zones envahies par la végétation.

Nous délaissons le GR qui passe devant la ferme de l’Adaouste. Après être passés devant un modeste monument en mémoire à un résistant ‘Garcia Jean 10 juin 1944’, le sentier se perd en cul de sac. Nous atteignons le point le plus élevé avec une vue étendue et spectaculaire sur le défilé de Mirabeau.

La Durance, le nouveau pont, les piles de l’ancien pont suspendu, le rond-point (celui des sculptures de Sartorio), le village de Mirabeau (photo estoublon)
 
 
 
 
 
 
Au zoom (photo ci-contre d’estoublon), les entrées des tunnels autoroutiers de l’A51 depuis la Baume Lyonnaise

La rivière s’enfonce ensuite au cœur de l’anticlinal jurassique par le resserrement entre les massifs de Lescaran et de la Baume Lyonnaise […]. C’est dans ce dernier étroit minimal, […] que l’on a ancré les ponts successifs et, autrefois, le départ des trailles du bac principal. (Voir Traverser la Durance à Mirabeau dans le blog randomania plus). Au plus étroit du défilé, celui-ci ne dépasse guère 220 m de large environ, où doivent s’insinuer actuellement la route, l’autoroute, le chemin de fer, leurs talus et leurs emprises. Extrait de Le défilé de Mirabeau : un grand site naturel humanisé à fonction primordiale de passage, André de RéparazInstitut de géographie, Aix-en-Provence, 1960

 

La dénomination de Baume Lyonnaise n’existe pas sur le cadastre napoléonien. Mais la baume de l’Adaouste, que nous n’avons pas cherchée, est toute proche (désigne-t-elle la même ?). Les Jouquards pensent qu’Eucher s’y serait retiré mais les Beaumontais pensent qu’elle se situe dans la falaise des Rochers Rouges ; selon la légende, c’est dans une grotte que les ambassadeurs de l’Eglise de Lyon seraient venus le chercher pour en faire leur archevêque.

D’un point de vue archéologique cette grotte a fait l’objet de fouilles méthodiques et complètes : outillage de silex, pierre polie, os ; poteries, parures. Des recherches récentes ont mis en évidence le passage de chasseurs de cerfs et chevaux (-80000 ans), deux campements de chasseurs de bouquetins, l’utilisation du site à des fins rituelles au néolithique. Le plus curieux en Provence ce sont les bouquetins de la dernière période glaciaire. L’espèce de bouquetin alpin trouvé pour la première fois dans cette grotte, sert désormais à définir un type morphologique : le morphotype Adaouste. Les occupations humaines de la grotte de l’Adaouste, G. Onoratini, B. Mafart, C. Joris, I. Baroni, Quaternaire, 1997, vol.8

Le retour se fait à l’intuition en suivant les chemins forestiers indiqués sur la carte du GPS ; aucun balisage ! quand nous arrivons à proximité de la route nationale, je propose de longer la voie intérieure qui passe dans le quartier résidentiel de l’EDF. Parvenus au portail de la centrale, nous constatons que nous sommes enfermés. Aucune issue. Nous rebroussons chemin. En conclusion, mieux vaut longer la route nationale jusqu’au parking situé peu après l’aire du pont de Mirabeau.

Une randonnée inédite dont le centre d’intérêt est le point de vue inattendu sur le défilé de Mirabeau.

Image de l’itinéraire 2h35 dépl. seul, 8km900, 203m dénivelée

** Du Contadour au vieux Redortiers, pays de Giono


Un village abandonné tel que je les aime ! on y sent l’âme des habitants, on y devine la sueur des travailleurs de la pierre, on évoque Giono et le Contadour, traditionnellement lieu de rassemblement où l’on comptait les moutons avant la transhumance (on pourrait l’écrire comptadour) ; pour cette boucle extraite du livre de Florence Dominique, 25 balades sur les chemins de la pierre sèche, éditions Bec en l’air, 2008, nous partons du Contadour, près du monument de la résistance. Vous pouvez aussi partir du lavoir (c’est le point géolocalisé) : ainsi, vous n’aurez pas de difficulté à trouver dans le village le sentier qui descend vers la rivière.

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Voir également par un autre itinéraire Le vieux Redortiers paru en 2016
Peut-on imaginer en voyant les ruines de Redortiers (alors en Dauphiné) que l’acte de fondation de l’abbaye de Lure y fut signé en 1160 ? que sous Louis XIV, 500 habitants y vivaient  dont « dix bourgeois, deux prêtres, un notaire, un chirurgien » ? qu’il y là avait une auberge et que l’église paroissiale était le siège de 7 confréries1 ? Le village n’a peut-être pas été déserté pour les raisons invoquées généralement : pauvreté du sol, difficulté de communication.

Le connétable Lesdiguières l’acquit en deux fois par moitié en 1604 puis en 1605, le transmit à un de ses héritiers, comte de Sault ; en 1703, Redortiers appartient au duc de Villeroy. Parmi les coutumes féodales :

  • la curieuse obligation pour les habitants de donner au seigneur la langue des boeufs qu’ils tuaient
  • l’habitant de Redortiers percevait le douzième des grains, blés et légumes que l’on comptait sur l’aire. Si dans les deux jours, le seigneur ne les avait pas fait compter, il avait le droit d’emporter ses grains sans payer de taxe
  • les habitants avaient également le privilège de pouvoir faire paître leurs troupeaux de brebis sur 8000 ha de pâturages et de bois
  • ils avaient le droit d’élever 15 porcs avec les glands des bois seigneuriaux sans payer de taxe
  • ils pouvaient également couper autant de bois qu’ils voulaient pour leurs besoins propres sans en abuser.

Jusqu’à la révolution, grâce à cette mise en commun des terres du seigneur, les habitants de Redortiers vivaient donc bien. Mais à la révolution, le duc de Villeroy est guillotiné ; les anciens vassaux de Redortiers sont dépouillés de la jouissance des pâturages et des bois. Les biens de l’ancien comté de Sault changent de propriétaires ; leurs héritiers veulent jouir de leurs biens en pleine propriété. Les gardes dressent des procès verbaux aux paysans qui font paitre leur troupeau, la commune se ruine en procès : la Cour de Cassation le 2 mars 1880 donne définitivement tort à la commune (Dictionnaire pratique des actions possessoires et du bornage. Tome 1, MM. Charles Archambault, René Senly, Chevalier-Marescq, Paris, 1890). Le village sans ressources est déserté peu à peu ; il devient hameau, redevient une colline pastorale. Selon La mort de Redortiers et l’une de ses causes, Jean Barruol , Annales des Basses-Alpes, n°143, Société scientifique et littéraire des Alpes-de-Haute-Provence, Digne, 1924

Direction le moulin à vent de Jean Giono, premier lieu d’habitation de l’auteur et de ses amis où naquirent textes, poèmes, croquis. Tel que Pierre Magnan (décédé le 28 avril 2012) le décrit (Pour saluer Giono, Denoël, 1993), il ne donnerait pas envie d’y vivre ! l’un des murs de l’enclos est pourvu de niches en arc exposées au sud ; après en avoir découvert de semblables ces derniers temps, je pense qu’il s’agit d’un mur à abeilles (lire les murs à abeilles de Provence dans randomania plus).

Passage près d’une cabane construite de pierres plates si fréquente dans le Contadour. Au sortir du bois, nous traversons l’immensité du plateau des Graves (1150m d’altitude) avant d’arriver à la seconde bâtisse qui accueillit Giono et les contadouriens. Son linteau est daté ‘1790’. C’est ici que Lucien Jacques (je l’ai évoqué dans l’article De Céreste à  Montjustin par les crêtes) viendra se réfugier dans la petite cabane à pièce unique juste à côté. Inscrite au monument historique, cette maison accueille des groupes pour des conférences ou lectures organisées par le Centre Jean Giono à Manosque.

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La chapelle d’Augès et la ferme des Lioux


Au départ de Peyruis, en direction des Martrons, nous partons à 5 pour une petite balade entre amis, prétexte à fêter 3 anniversaires. Nous traversons la forêt du prieuré : est-ce celle du prieuré de Ganagobie à moins de 10km à vol d’oiseau ? non je pense plutôt qu’il s’agit de celle du prieuré Saint-Jean-Baptiste de Mallefougasse, ou du prieuré rural Saint-Georges dépendant de Saint-André de Villeneuve, là où nous allons ce matin. Abbayes et prieurés de l’ancienne France, Tome II, Provinces ecclésiastiques d’Aix, Arles, Avignon et Embrun, R. P. Dom Jean-Martial Besse, Ch. Poussielgue (Paris), 1909

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Départ du Bas-Col ; un petit troupeau de vaches rustiques et paisibles ne semble pas avoir froid. Il fait -9°, 20km/h de vent froid et de maigres flocons de neige volètent autour de nous. Avec une température ressentie de -16°, nous avons tous enfilé plusieurs vêtements, un bonnnet, des gants et pris les bâtons de randonnée pour marcher dans la neige.

Nous cheminons dans les bois de chênes et de pins. Un arbre écroulé nous contraint à le contourner. Au bout de 450m, sous les arbres, à gauche, nous n’avons pas vu l’ancien cimetière de la commune d’Augès (du latin augelum), commune tellement désertée qu’elle a fusionnée avec Mallefougasse le 1er janvier 1974. 107 habitants en 1837, 24 habitants dans 6 maisons en 1906 (Annales Basses-Alpes – T13, Société scientifique et littéraire des Alpes-de-Haute-Provence, 1907) ; fin 1908, il est même signalé que la population agglomérée d’Augès est de 1 habitant, record absolu parmi les plus petites communes de ce département.

Drôle de nom que celui de Mallefougasse1 qui fait penser à mauvaise fougasse ou mauvais pain.

Un peu plus loin, un sentier plus raide atteint la chapelle d’Augès, désormais transformée en maison mais ayant gardé son clocheton ; le logement étant inoccupé, nous accédons au promontoire et son point de vue remarquable sur la Haute-Provence, la montagne de Lure.

Sa partie la plus ancienne remonterait au XVe siècle, époque où un moine de Ganagobie l’occupait. Avant la Seconde Guerre Mondiale, elle accueillait l’école de l’ancienne commune d’Augès. Un instituteur, Germain Lagier, y raconte son arrivée : « Après une heure de marche (…), on accéda à l’école, perchée au sommet d’une colline, en vue de la montagne de Lure. Quel fut mon étonnement de constater que l’école était en fait une chapelle munie de son clocher ! (…)  Extrait de Fondation du patrimoine

Extrait du journal de Germain Lagier, un instituteur des Basses-Alpes, Editions de Haute-Provence, 1993, quand il enseignait à Baudinard.

Enfin, la chapelle a servi de mairie où le dernier Conseil Municipal eut lieu en 1971. Au XIXè siècle, sur la porte, une pierre était chargée d’un lièvre poursuivi par un énorme lévrier. S’il s’agit du blason d’un ancien seigneur d’Augès, je n’ai pas trouvé lequel. Les seuls que j’ai trouvés sont issus des Fortia, marquis de Pille, gouverneur des places du château d’If et des îles de Marseille.
Histoire géographique et statistique du département des Basses-Alpes, Jean-Joseph-Maxime Feraud, Vial, 1861

Au retour, nous délaissons la direction de la vigie sur la colline Tourdeaux pour celle de l’ancienne ferme fortifiée des Lioux où l’on devine le passé agricole des collines. Précédée d’un grand puits, elle est composée de plusieurs pièces ; le pigeonnier éventré s’élance vers le ciel. A l’arrière, depuis le mur d’enceinte, la chapelle d’Augès est bien visible sur sa colline.

un carré d’environ 30m de côté, clos de murailles aveugles, et au centre le logis et un pigeonnier. P. Ollivier-Elliott

Les photos de JM Foulon

Qui dit ‘fête’ dit ‘bon repas’. Le Fougassais nous a accueilli pour un excellent repas gastronomique au coin du feu, à Mallefougasse. Croyez-moi, ce tout petit village possède un bistrot de pays (spécialité de daim) qui vaut le déplacement.

Image de l’itinéraire, 2km400, 1h déplacement, 83m dénivelée

Dans les Alpes de Haute-Provence, 18 balades réussies pour toute la famille, FFR, ADRI, CDT, FFR, 2005

1Malefougasse : malo Tortello, malafocacha (1273) puis mala fougassa